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Le prisonnier Skander et la couardise des autorités

Dans l’affaire du détenu Skander Vogt, la justice et la politique semblent avancer au rythme fixé par la presse poubelle. Pas bien glorieux ni sérieux.

«Je dirais même, ils l’ont fait mourir dans une cellule qui s’est transformée en chambre à gaz». En chambre à gaz! Rien que ça. Voilà donc les matons de Bochuz mués en SS officiant à Auschwitz. Bien sûr, c’est l’avocate de la famille qui parle. Et une avocate de la famille, c’est censé en faire des tonnes, y compris jusque dans la métaphore déplacée, et c’est même payé pour.

En même temps qu’un voleur de voiture lyonnais accédait au statut de quasi martyr, c’est le célèbre et caractériel détenu Skander Vogt, mort asphyxié dans sa cellule du quartier de haute sécurité à laquelle il avait préalablement bouté le feu, qui se retrouve en voie de canonisation médiatique.

Même l’implacable, l’intraitable conseiller d’Etat Philippe Leuba, ancien sifflet pourtant prompt à dégainer jadis cartons rouges et penalties plus souvent à tort qu’à travers, oui, même Leuba, auteur jusque là d’un remarquable sans faute politique, donne l’impression sur cette affaire de courir petitement après Le Matin. Et semble trop facilement renier ses propres décisions, pour obtempérer aux diktats péremptoires et vertueux de la presse poubelle.

C’est en tout cas, chronologiquement, le pénible sentiment qui se dégage de cette tragique affaire. Il n’y a plus que le lecteur lambda et excédé de ladite presse pour s’indigner, dire crûment, maladroitement, ridiculement, mais avec une sincérité hors de doute, son refus de voir jour après jour des couronnes mortuaires tressées aux voleurs de voitures et aux détenus incontrôlables. «Si vous pensiez nous faire pleurer dans le chaumières avec un malfrat qui vient de perdre la vie, c’est raté! Ce genre d’articles, ça n’intéresse pas les honnêtes gens!», s’exclame ainsi, furibard, un lecteur de la Tribune de Genève.

Oui, le plus inquiétant dans l’affaire Vogt, hormis de savoir si oui ou non les gardiens se sont volontairement rendus coupables de non assistance à personne en danger, c’est de voir la politique se faire toute petite devant la moraline médiatique. Le Matin exige une enquête? Voilà, voilà, il suffit de demander. Le Matin trouve que les enquêteurs ne sont pas assez indépendants? Pardon, pardon, excusez-nous, où avions-nous la tête? Voici un vieux juge tout propre et tout indépendant. Vous convient-il?

Le problème évidemment ne vient pas des journalistes, tout à leur légitime obsession de faire fructifier la bavure, d’en tirer un feuilleton qu’ils s’imaginent, sans doute à tort, devoir passionner le grand public — «les honnêtes gens». C’est-à-dire tout le monde. Et il est bien probable que Skander Vogt, tout le monde, justement, s’en fout.

Non, le problème vient bien d’autorités politiques qui ont d’abord minimisé, nié et couvert l’administration, puis, sous la pression du tam-tam orange, se sont mises au contraire à vouloir nettoyer à gros jets les écuries de Bochuz.

Non sans culot: tout en suivant à la trace les révélations et consignes des folliculaires, les autorités politico-judiciaires dans le même temps poursuivent ces mêmes folliculaires pour diffusion frauduleuse d’informations confidentielles — le fait d’avoir publié les conversations téléphoniques entre les gardiens, les policiers et les services hospitaliers la nuit de ce fameux 11 mars. On ne fait pas plus couard ni faux cul.

Manque de courage, manque d’autorité, manque d’indépendance, manque de vision, qui se traduisent par l’écart indécent entre la mort de Skander Vogt et la décision de charger l’ancien juge Rouiller de l’enquête: un mois et demi.

Tout, dans cette affaire, dès le début est allé trop lentement. D’une administration qui a besoin des outrances du Matin pour se réveiller, on peut penser ce qu’on veut, sauf qu’elle a correctement rempli sa mission.