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Oiseaux bricoleurs et moutons physionomistes

De la fabrication d’outils à la mémorisation de centaines de mots, les facultés d’apprentissage des bêtes montrent bien que l’intelligence n’est pas réservée à l’«homo sapiens sapiens». Morceaux choisis.

«L‘intelligence se réfère à des connaissances apprises et inventées. On ne naît pas intelligent, mais, au mieux, avec un potentiel pour le devenir.» Comme le résume Carel van Schaik, directeur de l’institut et musée d’anthropologie de l’Université de Zurich, l’intelligence se distingue de ce que l’on appelle communément l’instinct. Chez un grand nombre d’espèces animales, la faculté d’apprentissage, bien que limitée (on peut la comparer à celle d’un enfant en bas âge), étonne par sa variété et prend parfois les tournures les plus inattendues.

Intelligence collective
Chez les fourmis, les oiseaux ou les poissons, des actions relevant d’une intelligence collective se sont développées au gré de l’évolution. Elles concourent à faciliter l’organisation sociale, que ce soit dans le cas de déplacements en groupe, de la construction d’un nid ou de la recherche de nourriture: «On a observé que les fourmis déposent des phéromones sur une piste uniquement lorsqu’elles ont trouvé de la nourriture, illustre Laurent Keller, directeur du département d’écologie et d’évolution de l’Université de Lausanne. Plus il y en a, plus elles déposent d’odeurs et plus la piste sera empruntée.»

Les fourmis ont également développé des sortes de cérémonies funèbres. «Certaines espèces jettent leurs morts au sol depuis des branches sans contact avec ces «cimetières», poursuit Laurent Keller. Cette forme d’intelligence collective s’explique essentiellement par des questions liées à l’hygiène: elle est apparue au cours de l’évolution comme un moyen de limiter la propagation de bactéries ou de virus nuisibles au groupe.»

Conscience de soi
Observée chez les grands singes, les dauphins ou les éléphants, la faculté de se reconnaître dans un miroir reflète pour sa part une capacité à «s’objectiver»: «Cette aptitude est corrélée à la capacité d’imiter, et de comprendre que d’autres puissent avoir des croyances ou des sentiments différents, ce qui est particulièrement rare chez les animaux, souligne Carel van Schaik. Elle est en outre liée à une aptitude certaine dans le domaine social.»

La conscience de soi s’est ainsi développée exclusivement chez les animaux sociaux. Pour que le groupe fonctionne, ceux-ci «se doivent d’être capables de se reconnaître les uns les autres», relève Laurent Keller. La taille du cerveau et son degré de développement jouent un rôle central en matière de reconnaissance mutuelle.

Certains animaux sont capables de reconnaître individuellement plusieurs humains: «Des corneilles avec lesquelles nous travaillions à l’Université de Lausanne pouvaient reconnaître des chercheurs, même après plusieurs années d’absence», témoigne Laurent Keller. On a aussi observé cette incroyable faculté de mémorisation chez certains moutons, capables de reconnaître jusqu’à 50 congénères et 10 humains, cela même après deux années de séparation.

Nommée «theory of mind», la faculté de comprendre la perspective d’un autre individu a été récemment mise en évidence chez certains oiseaux, les geais, lors d’expériences menées à l’Université de Cambridge. Concrètement, ces oiseaux apprennent à déplacer leur nourriture lorsqu’ils constatent que d’autres individus les ont vus la cacher. Cela indique qu’ils ont bien compris que si eux-mêmes ont été des «voleurs» dans une expérience précédente, leurs congénères feront peut-être de même si on leur en laisse l’occasion. «Il s’agit là d’une des premières véritables manifestations de la capacité à utiliser des expériences personnelles pour pouvoir prévoir le comportement d’autres individus, sans en avoir encore vécu les conséquences», souligne Redouan Bshary, professeur en écologie comportementale à l’Université de Neuchâtel.

Mémoire et langage
Les «Clark’s nutcrackers», des oiseaux que l’on peut observer en Amérique du Nord, font pour leur part preuve d’une mémoire spatiale extraordinaire: ils peuvent cacher près de 30’000 noix dans 30’000 endroits différents durant 4 mois afin d’avoir suffisamment de nourriture pour les 8 mois d’hiver à venir.

Il est difficile de déterminer en revanche combien de mots peuvent assimiler les animaux. On parle de quelques centaines pour un chien ou un perroquet, voire de plusieurs milliers pour les grands singes et les dauphins, qui peuvent acquérir «une compréhension convenable de la langue parlée», comme le souligne Carel van Schaik. Des bribes de syntaxe, soit des sons qui, combinés d’une certaine manière adoptent des significations précises, ont même été observées dernièrement chez certaines espèces de singes. Plus difficiles à étudier, les cétacés semblent pour leur part avoir mis en place une communication «beaucoup plus complexe que celle des primates», remarque Redouan Bshary.

Déduction et usage d’outils
Grâce à un type d’expérience intitulée «reverse-reward-contingency task», les facultés de déduction sont facilement démontrables: l’animal dispose du choix de pointer deux sources d’alimentation, l’une comprenant un raisin, l’autre quatre. Il reçoit la première en pointant la seconde, si bien qu’il doit apprendre à choisir le moins afin d’obtenir le plus. Des petits primates (eulemur fulvus) ont facilement passé l’examen.

Certains groupes d’orang-outang fabriquent des «instruments de forage» afin d’extraire des insectes de trous dans des arbres. D’autres élaborent des chapeaux pour se protéger de la pluie, de même que des nappes pour manger ou des coussins pour dormir. On a également observé des pieuvres recueillir des demi-coques de noix de coco, puis les transporter avec elles afin de les utiliser comme une protection contre des prédateurs.

Les corneilles de Nouvelle-Calédonie, observées dans une expérience menée à l’Université d’Oxford, semblent cependant remporter la palme en la matière: elles peuvent, après quelques essais, plier un fil de fer et tirer du fond d’un tube en verre un petit sceau contenant de la nourriture. «La faculté d’utiliser des outils est surtout observée chez les animaux en captivité, souligne Carel van Schaik. Dans la nature, elle est fréquente chez les grands singes, mais reste rare chez les autres espèces de singes.»

Traditions
Si l’on évoque parfois la piste d’éléments «culturels» mis en place chez certaines espèces, les termes de rituels ou de traditions semblent plus appropriés. Les loups mettent ainsi en place des rituels régulant les rapports entre dominants et subordonnés, ces derniers tendant leur cou en forme de soumission ou adoptant des postures plus provocantes dans le cas d’un défi. «Les traditions chez les animaux renvoient à la capacité à apprendre socialement des autres, voire à les imiter, souligne Redouan Bshary. Cela est largement observé au sein du règne animal. Certains poissons sont capables d’apprendre socialement des trajets de migration, des oiseaux ont mis en place des dialectes locaux basés sur des apprentissages sociaux. Quant aux orangs-outangs et aux chimpanzés, ils démontrent une large variété de comportements locaux, apparemment liés à des traditions propres à leur tribu.»

Ce type d’observations chez les animaux permet par ailleurs de mieux comprendre certains conflits en société chez l’homme: «Un élément semble très clair, souligne Laurent Keller. Que ce soit chez les animaux ou chez les humains, les êtres égoïstes sont souvent mis à l’écart. Ce qui tend à démontrer l’importance de l’aspect social dans ces organisations.»
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Une version de cet article est parue dans le magazine Reflex.