KAPITAL

Prêt-à-troquer

Des soirées glamour où l’on vient échanger ses vêtements: c’est le dernier trend bobo responsable, en vogue à Londres. Reportage.

Il neige abondamment sur la capitale britannique. En ce samedi de janvier 2010, la plupart des modeuses se pressent chez Harrods ou Liberty pour faire le plein d’habits griffés pendant les soldes. Même s’il faut affronter le froid, le verglas qui recouvre les trottoirs et les files interminables aux caisses de ces temples du luxe. Pendant ce temps, à l’Est de la ville, une centaine de jeunes femmes patientent au chaud dans le hall cossu de l’hôtel Andaz, l’une des adresses en vogue du quartier branché de Liverpool Street. Les bras chargés de sacs, elles viennent s’inscrire à la «swishing party» qui débutera dans deux heures. Emmitouflées dans des manteaux en fourrure vintage et perchées sur leurs talons, elles espèrent renouveler leur garde-robe sans débourser une livre sterling. Sauf quelques sous pour siroter des cocktails au bar qui les attend dans un coin de la pièce, of course.

L’événement fonctionne ainsi: chaque participante amène des vêtements ou des accessoires qu’elle ne porte plus et reçoit en échange un certain nombre de points. Le maximum est attribué aux pièces de prêt-à-porter haut de gamme, la moitié à celles qui sont considérées comme vintage, les autres ne recevant que quelques de points. Une fois triées selon ces trois catégories, les pièces sont entreposées sur des porte-vêtements à roulettes puis emmenées dans une salle de conférence dont l’accès est bien gardé par une dizaine d’hôtesses. C’est derrière ces portes que tout se jouera plus tard. Les filles auront vingt minutes pour essayer ce qui leur plaît. Ensuite, elles devront remettre chaque chose à sa place et ressortir de la pièce. C’est seulement lorsque les portes s’ouvriront pour la deuxième fois qu’elles pourront récupérer leurs trouvailles et les échanger contre leurs points. Rien n’est à vendre, les objets ne peuvent que s’échanger contre les points récoltés.

L’attente est longue et l’excitation palpable. Les filles, venues en bande pour la plupart, fantasment sur les trésors que renferme, peut-être, cette caverne de mode. Des sacs griffés, des robes vintage, des manteaux bien chauds, des bottes stylées. Chacune rêve de tomber sur une pièce de leurs créateurs adorés, c’est-à-dire Marc Jacobs, Stella Mc Cartney, Chloé, Sonia Rykiel, Chanel, Comme des Garçons… Beaucoup d’entre elles cherchent l’exceptionnel. C’est le cas de Sinead O’Driscoll, 26 ans, et Sarah Kurylowicz, 33 ans, habillées en total look vintage, qui cherchent des fripes et des accessoires qui sortent du lot, comme ceux qu’elles chinent régulièrement dans les célèbres marchés aux puces Spitafield et Portobello Road, ou dans les boutiques spécialisées.

A quelques minutes de l’ouverture des portes, l’organisatrice, Lucy Shea, salue l’audience. «Nous aimons toutes acheter des nouveaux vêtements fabuleux, malheureusement cette folie de l’achat n’est bonne ni pour la santé de notre compte en banque, ni pour celle de la planète», sermonne-t-elle du haut de la mezzanine qui surplombe le hall. Comme antidote aux soldes, cette directrice de l’agence de communication Futerra, spécialisée dans le développement durable, vante le concept de «swishing parties», grâce auxquelles les fashionistas «économisent de l’argent, sauvent la terre et font la fête». Sa résolution pour 2010? Faire en sorte que toutes les britanniques participent à l’un de ces événements. Pour cela, l’agence a créé un site Internet qui fait office d’agenda. Toute personne qui organise une «swishing party» peut y inscrire la date. Pas la peine d’essayer de traduire. Ce verbe anglais n’a aucun rapport avec l’idée d’échange de vêtements. Lucy Shea l’a choisi parce qu’elle le trouvait plus glamour que «swapping».

Sitôt que le signal est donné, les filles s’engouffrent d’un pas décidé dans la pièce. En quelques minutes, elles s’emparent d’un maximum d’habits et se retirent dans un coin pour les scruter sous toutes les coutures. Si les plus rapides ont pu saisir la vingtaine de pièces de créateurs, les autres doivent se débrouiller avec les fripes vintage et les T-shirts tristounets qui tiennent encore sur leur cintre. Pour certaines, c’est la déception. Comme la journaliste soussignée, qui est arrivée avec un magnifique manteau vintage et un sac Karen Millen, et qui ne repartira qu’avec quelques tops H&M et Zara qu’elle a pu saisir au vol après la tornade… «Le succès d’un événement comme celui-ci dépend de l’esprit des participantes, explique Emilie Levienaisse, 25 ans, en observant la scène. Il faut qu’elles amènent des jolies choses et pas des fringues qui seraient mieux chez Caritas!..»

Après l’inspection par les visiteuses, tous les habits doivent être — théoriquement — remis à leur place le temps que tout le monde sorte et rentre à nouveau, en courant cette fois-ci. Sauf que certaines filles ont plus d’un tour dans leur sac: elles ont caché sous une table, superposé sur un cintre, voire attaché plusieurs habits entre eux avec une ceinture pour multiplier les chances d’emporter ce qu’elles ont essayé. En moins d’une demi-heure, la salle se vide. A la sortie, les avis sont mitigés. Sinead O’Driscoll repart les mains vides, mais Sarah Sarah Kurylowicz s’est déniché un super sac. Les vêtements chiffonnés qui jonchent le sol seront partagés entre les hôtesses de l’événement ou donnés à des associations caritatives.

Si elle lui a donné un nouveau nom, l’agence Futerra n’a pas inventé le concept de troc entre modeuses. Depuis 2007, ce nouveau mode de consommation prend de plus en plus de place dans la sphère des londoniens branchés. Encore faut-il le savoir, car les événements restent discrets. «Les vrais bons plans se refilent entre professionnels des médias et de la mode. Les autres se passent de bouche à oreille, mais aussi via Facebook, comme les rendez-vous «carbootles» qui ont lieu régulièrement», détaille Anouk Schneider, photographe de mode.

Et en Suisse? En 2008, la créatrice de bijoux Lou Pauporté a organisé plusieurs soirées de troc haut de gamme sur invitation à Lausanne. Mais, elle ne les a pas renouvelées. «C’était difficile de réunir des filles qui ont la même taille et les mêmes goûts. En plus, il arrivait qu’elles changent d’avis pendant la soirée et refusent de laisser leurs habits partir dans les mains d’une autre…» Seule l’association Nice Future organise des rendez-vous de troc public, au Bourg à Lausanne, soit lors des «Ethical Fashion Days» qui ont lieu en automne à Genève.

A Zurich, par contre, la tendance est à la hausse. Le premier événement «I am Swapaholic» a eu lieu l’automne dernier, de nouvelles éditions sont prévues cette année. Des rendez-vous troc sont organisés une ou deux fois par année dans le café «Für dich». Le prochain est prévu ce printemps.

Expérience faite, pour bien s’habiller sans se ruiner en temps de crise, le plus sage reste la formule de troc intimiste. En réunissant les amies des amies et en se mettant d’accord sur la valeur et les tailles des pièces apportées, les chances de trouver son bonheur sont bien supérieures. Sans oublier les sites de ventes aux enchères et les nombreuses boutiques de seconde main qui renferment tout ce dont peut rêver une fashionista en quête de pièces fabuleuses à prix bradé.
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Natasha Mason, 31 ans (à gauche)
Scénographe et professeur de yoga

Ce qu’elle est venue échanger:
Une dizaine de T-shirts, certains vintage, d’autres customisés par ses amis designers émergents.
Parce qu’elle espère trouver:
Des vêtements griffés Vivienne Westwood, Comme des Garçons, ou une pièce vintage originale.

Vanessa Scully, 27 ans (à droite)
Créatrice de bijoux et étudiante en art

Ce qu’elle est venue échanger:
Une poignée de tailleurs classiques qu’elle devait porter dans le bureau où elle a travaillé quelques mois.
Parce qu’elle espère trouver:
Une paire de bottes cavalière en cuir noir, ou un sac vintage en peau d’animal.
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Emilie Levienaisse, 25 ans
Etudiante en composition de musique classique

Ce qu’elle est venue échanger:
Un cache-cœur en laine Zara, des T-shirts.
Parce qu’elle espère trouver:
Des pièces du jeune designer Christopher Kane ou de Preen, tous deux basés à Londres.
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Sarah Kurylowicz, 33 ans (à gauche)
Assistante sociale

Ce qu’elle est venue échanger:
Une cargaison de vêtements et accessoires vintage qu’elle a achetés dans des boutiques de seconde main.
Parce qu’elle espère trouver:
Des accessoires, surtout. Sacs, bijoux, chaussures pour féminiser son look androgyne.

Sinead O’Driscoll, 26 ans (à droite)
Designer de mode pour une marque de vêtements en laine

Ce qu’elle est venue échanger:
Des vestes, des paires de chaussures, des pulls et des robes vintage chinés dans les marchés.
Parce qu’elle espère trouver:
Une robe ou une veste vintage qui sortent du lot.

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Caroline Kent, 20 ans

Etudiante en design de mode, elle travaille comme bénévole dans le cadre de l’événement. Elle porte une robe Top Shop et des chaussures vintage.
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Quelques sites de «troc parties»

En Angleterre:
www.carbootles.co.uk
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En Suisse:
www.ethicalfashiondays.ch
www.iamswapaholic.com
www.fuerdich.ch
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Une version de cet article est parue dans le magazine First.