KAPITAL

Les nouveaux entrepreneurs du low-cost

De la restauration à la location de voitures, ces petites entreprises parviennent à faire du profit tout en pratiquant des tarifs très avantageux. Voici comment.

Claude Luisier a trouvé le moyen de booster les revenus de son restaurant Le Vieux-Bourg à Saillon (VS). «En une année, mon chiffre d’affaires a augmenté de 50%. Je me suis inspiré du concept de low-cost appliqué par les compagnies aériennes. Les huit premières personnes qui réservent leur repas sur notre site Internet bénéficient d’un rabais de 50% sur leur addition, puis de 25% et de 10% pour les suivants.»

Diminue-t-il les portions ou la qualité des produits pour appliquer de telles réductions? «Absolument pas. Ce système a le grand avantage de m’aider à mieux organiser les besoins en personnel. Et les clients viennent avec un autre état d’esprit; ravis de faire une bonne affaire, ils prennent un dessert ou consomment plus de vin.»

A l’image de ce restaurateur, de nombreux entrepreneurs voient le low-cost comme un modèle économique idéal. Depuis son essor dans les années 1990 avec l’arrivée des compagnies aériennes EasyJet ou Ryanair, le concept s’est imposé auprès des consommateurs.

«Aujourd’hui, le bon marché ne remet pas automatiquement en question la qualité d’un produit ou d’un service, constate Raphaël Cohen, directeur du diplôme d’entrepreneuriat et business development à HEC Genève. Au départ, les billets d’avion à prix cassé ont surpris et suscité des doutes quant à la sécurité notamment. Avec le temps, les gens ont compris que les économies peuvent se faire ailleurs que sur la qualité grâce à des business modèles innovants.»

De la réduction des marges de profit à la simplification des infrastructures, chaque entrepreneur choisit comment faire baisser ses propres frais pour proposer un produit meilleur marché. Jean-Pierre Sacco, directeur de dix centres de fitness dans le canton de Vaud a choisi de cibler les prestations offertes. «J’ai lancé il y a trois ans des fitness low-cost qui disposent uniquement de salles d’exercices. Pas d’espaces de détente ni de cours collectifs: ce système génère des économies en termes d’électricité, de personnel et de charge de travail et me permet d’offrir un forfait mensuel à 55 francs.»

Soit moitié moins qu’un abonnement chez un prestataire classique, qui doit rentabiliser l’accès au solarium et aux bains turcs, que le client utilise ou non ces infrastructures. Et Jean-Pierre Sacco l’assure: «Le type de machine et la formation du personnel sont identiques.» C’est en observant ce mode d’organisation que la Lausannoise Sabrina Fruteau a décidé d’introduire le low-cost dans un secteur qui, en principe, vise une clientèle haut de gamme: les spas.

«Je suis en train de mettre en place le business plan. J’ai choisi la ville de Prague pour tester le projet qui, je l’espère, s’étendra à la Suisse.» Pour réduire les frais, l’entrepreneuse mise sur une optimisation de l’espace, un nombre restreint d’employés accompagné d’une logistique simple («pour que le client puisse s’orienter de manière indépendante») et des infrastructures (bains, jacuzzis, etc.) fabriqués en Asie ou en Europe de l’Est — et donc moins chers.

Ce dernier aspect est crucial pour Enzo Stretti, entrepreneur chevronné dans le domaine du low-cost (lire encadré). «Il est important de réduire les coûts dès le départ en achetant à bas prix une structure déjà existante par exemple.»

Une alternative consiste à délocaliser certaines parties de l’activité. Ainsi Michel Sergent, directeur de la Clinique dentaire du Chablais travaille depuis cinq ans avec des laboratoires asiatiques qui fabriquent des prothèses et des implants dentaires (lire ci-dessous).

Les économies sur la main-d’œuvre réduisent les coûts des prestations. «Grâce à cet outsourcing — très courant dans bien d’autres secteurs — il devient possible d’offrir une alternative de qualité, avantageuse et confortable, à des clients qui n’ont pas les moyens de se payer des produits fabriqués en Suisse», détaille le médecin.

Alors, le low-cost peut-il s’appliquer partout? «Ce concept peut potentiellement émerger dans tous les secteurs d’activité, estime Alexander Osterwalder, coauteur de l’ouvrage Business Model Generation publié l’an dernier. Le low-cost est clairement un modèle d’avenir, il encourage les entreprises à remettre en question leurs acquis et stimule ainsi l’innovation.»

Et de citer deux exemples mondialement connus: Skype et Nintendo. Le modèle économique extrêmement astucieux de ce dernier est à l’origine de succès internationaux. La société japonaise a vendu des millions d’exemplaires de sa console de jeux vidéo Wii. «Le fabricant est arrivé avec un produit techniquement dépassé, auquel il a ajouté un système capable de détecter les mouvements du joueur. Nintendo n’a pas eu à beaucoup investir dans la recherche, ce qui a permis de réduire ses frais de production», indique Alexander Osterwalder. La Wii est proposée à 400 francs, contre 750 francs pour une PlayStation 3 à son lancement.

Quant au logiciel de télécommunication Skype, il a simplement profité du Web. «Ses concepteurs ont profité des progrès technologiques pour casser les prix. En s’appuyant sur l’infrastructure existante qu’est Internet, ils n’ont pas de réseaux à entretenir», analyse encore l’écrivain. Des économies considérables qui leur permettent d’engendrer des bénéfices, même si 90% des communications de leurs millions d’utilisateurs sont offertes.

Comme l’a constaté Enzo Stretti, casser les prix dans certains secteurs reste compliqué. «J’ai essayé de lancer les taxis low-cost. J’ai étudié le projet dans tous les sens mais, en calculant toutes les charges fixes, je ne parvenais pas à proposer un prix suffisamment avantageux. De même pour l’hôtellerie.»

«Les clients étrangers feront-ils confiance à un hôtel trois étoiles qui affichent des chambres à 20 francs? Les étoiles ne sont pas un critère déterminant car leurs valeurs changent d’un pays à l’autre. En revanche, quand on loue une voiture, le modèle et le nombre d’années du véhicule sont des aspects qui permettent aux clients de se rendre compte de la qualité d’un produit et de comparer les prix d’une entreprise à l’autre», conclut celui qui a lancé plusieurs concepts low-cost.
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«Mes employés ne connaissent pas de temps morts»
Enzo Stretti

Enzo Location, Second Location, Enzo Web, Enzo Mécanique, Enzo Carrosserie, à Genève, Yverdon et Lausanne

On peut le dire: Enzo Stretti est le «serial low-cost entrepreneur» de Suisse romande. A 50 ans, le Lausannois a lancé six sociétés offrant des tarifs meilleur marché que la concurrence. La dernière en date est «Enzo Web» qui réalise des sites Internet. «Je suis encore en train de régler les derniers détails. Je pense que les sites les plus complexes coûteront 1’200 francs, contre plusieurs milliers de francs dans certaines agences spécialisées.»

Son arrivée sur le marché du low-cost remonte au début des années 2000 avec le lancement d’«Enzo Location» puis de «Second Location» qui permet à l’entrepreneur de proposer des voitures en location dès 14 francs par jour et 20 centimes le kilomètre, soit jusqu’à dix fois moins cher que les géants Herz ou Europcar.

«Notre offre attire surtout une clientèle locale qui, même en payant chaque kilomètre, s’en sort avec une facture avantageuse.» Comment rentabilise-t-il son affaire? «Le nombre élevé de réservations compense les prix bon marché. Nous louons deux voitures par minute et nos véhicules – près de 500 au total – roulent tout le temps, du lundi au dimanche.»

Cette logique, le businessman l’applique aussi à ses autres activités: «Enzo Mécanique» et «Enzo Carrosserie», dont le travail est facturé dès 70 francs de l’heure au lieu des 130 francs habituels. «Dans les garages traditionnels — qui souffrent beaucoup en ce moment –, un mécanicien travaille en moyenne une heure au cours d’une matinée. Mes employés ne connaissent pas de temps morts, leurs journées sont toujours pleines. Et le bouche-à-oreille marche très bien, je n’ai jamais eu à me soucier de faire de la publicité.»

Les économies sur les infrastructures réduisent aussi les coûts. «Dans certains de mes garages, la réceptionniste peut tout aussi bien réserver une location de voiture, fixer un rendez-vous pour une vidange, donner des renseignements quant à la création d’un site Internet ou vendre des bouteilles de vin… low-cost! Seulement attention, il ne s’agit pas de vins bas de gamme. Je propose des bons crus italiens que je peux vendre moins chers car je les achète directement auprès des vignerons et que je stocke dans les locaux de mes autres entreprises.»
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«Nous n’avons pas besoin d’être plus chers»
Antoine Betti, Thomas Jaffro, Olivier Gausseres

Easy-Park à Genève

C’est en réunissant 20’000 francs de leurs propres économies qu’Antoine Betti, Thomas Jaffro et Olivier Gausseres lancent Easy-Park en février 2009. «Dès le troisième mois, notre activité était rentable.» Car l’idée est ingénieuse: la start-up propose aux utilisateurs des parkings de l’Aéroport de Genève de garer leurs véhicules sur des places privées situées dans les environs. «Nous récupérons le véhicule lors du départ en vacances et le ramenons le jour du retour. Europcar offre ce service à 170 francs la semaine, nous à 95 francs.»

Seule différence: les clients doivent penser à réserver leur place sur le site Internet au moins deux jours avant le départ, précisant les horaires exacts de leur vol, ce qui permet à Easy-Park d’organiser son activité.

L’entreprise, qui emploie quatre personnes à plein-temps, dispose actuellement de 200 places. «Nous devons refuser des réservations, nos places sont tout le temps occupées. D’ici aux vacances scolaires estivales, nous espérons trouver une centaine de places de plus.» Sans dévoiler leur chiffre d’affaires ni le prix de location des places, les fondateurs ont calculé des marges minimums. «Nous n’avons pas besoin d’être plus chers pour tourner.»
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«Les implants et les couronnes sont fabriqués en Asie»
Michel Sergent

Clinique dentaire du Chablais à Aigle et Collombey

Après Aigle et Collombey, Michel Sergent, directeur de la Clinique dentaire du Chablais, s’apprête à ouvrir d’ici à la fin 2010 une nouvelle succursale à Lausanne. Dans un secteur où les offres low-cost se multiplient, le médecin est considéré comme le pionnier des soins dentaires à prix cassés en Suisse romande.

«Notre concept est un peu plus subtil que du low-cost. Nous proposons, en toute transparence, deux gammes de prix. D’une part, des prothèses et des implants réalisés par un laboratoire en Suisse, de l’autre, des produits similaires qui ont été fabriqués en Chine ou en Corée du Sud.»

La différence de coûts est notable pour le patient: 500 francs pour une couronne helvétique, 149 francs pour sa jumelle asiatique. «Le praticien conseille en toute objectivité, car ses honoraires ne varient pas en fonction du choix du patient.»

Michel Sergent revendique une qualité irréprochable des produits asiatiques. «Les matériaux de base viennent d’Allemagne ou du Liechtenstein. Chaque prothèse en provenance d’Asie est contrôlée par nos techniciens ici en Suisse et arrive avec une fiche de traçabilité aux normes européennes.» La gamme low-cost de la clinique a déjà séduit 10’000 patients en cinq ans.
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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.