LATITUDES

Une tour de lumière comme source d’énergie

L’Espagne innove avec sa tour solaire PS20, un spectaculaire édifice de 160 m de haut qui produit de l’électricité solaire par la chaleur. Explications.

Une simple loupe placée au soleil suffit pour brûler un bout de papier. Alors imaginez plus de 1200 miroirs, faisant chacun 120 mètres carrés, et braqués sur un collecteur de chaleur placé au sommet d’une tour de plus de 160 mètres de haut…

Bienvenue à PS20, la seconde tour solaire installée par le producteur d’énergie espagnol Abengoa Solar sur le site de Sanlúcar la Mayor, à 25 kilomètres de Séville. Elle produit suffisamment d’électricité pour alimenter 10’000 logements, soit une puissance de 20 MW (dix fois plus qu’une grande éolienne moderne). Le sud de l’Espagne est l’endroit idéal pour cette technologie, qui exige un ensoleillement intense pendant de longues heures.

«Des prototypes de tours existent en Israël et aux Etats-Unis, mais nous sommes les seuls à l’utiliser d’une manière commerciale», explique Ana Díaz, coordinatrice de la recherche chez Abengoa Solar.

Pour l’instant, l’installation bénéficie d’encouragements étatiques qui dopent le prix de rachat de l’électricité provenant de sources renouvelables. Cette nouvelle technologie reste d’ailleurs onéreuse: la construction de la première tour, PS10, a coûté 35 millions d’euros et duré quatre ans et demi.

Surchauffée dans le collecteur par les rayons du soleil, la vapeur atteint une température de 250 degrés. Elle est ensuite amenée au sol pour être injectée dans des turbines à vapeur qui produisent le courant électrique. Elle peut également être stockée pendant près d’une heure dans des réservoirs, pour faire face aux situations où la production de vapeur viendrait à dépasser la capacité de la turbine.

Pour générer de l’électricité 24h/24, l’entreprise espagnole travaille également à intégrer des techniques de stockage de chaleur basées sur les sels fondus. «Une fois chauffés à 280 degrés, les sels permettent de garder la vapeur au chaud pendant près de huit heures», explique Ana Díaz. Ce qui permettrait de faire tourner les turbines également la nuit.

«Le stockage reste l’un des plus gros enjeux des énergies alternatives, explique Hans Björn Püttgen, directeur de l’Energy Center à l’EPFL. Elles peuvent en principe faire diminuer la quantité de combustible utilisé, mais le fait qu’elles ne produisent pas en continu pose problème, par exemple pendant la nuit avec le solaire ou lorsqu’il n’y a pas de vent avec l’éolien. Car la question de la capacité demeure – c’est-à-dire qu’il reste nécessaire de construire des centrales nucléaires ou à combustible fossile afin d’assurer l’offre de courant électrique pendant ces heures creuses.»

Plus la tour est haute, plus nombreux sont les miroirs pouvant se focaliser sur son sommet — et donc plus grande est la puissance de l’installation. Cette nouvelle technologie a certains avantages sur celle de miroirs paraboliques focalisant la lumière solaire sur des tubes placés juste devant — une technique qui remonte aux années 1980, mais qui reste encore peu déployée.

«Les miroirs paraboliques sont un peu moins efficaces, car la température atteinte est moins élevée que dans les tours, indique Hans Björn Püttgen. Il peut aussi y avoir des pertes d’énergie considérables au niveau du liquide de chauffage, qui circule sur les centaines de mètres que font les miroirs placés les uns à côté des autres, alors qu’avec la tour la vapeur circule sur des distances bien plus faibles.»

Autre avantage de la tour: les miroirs sont plats et donc plus faciles à nettoyer que les miroirs paraboliques courbés. Mais ces miroirs plats doivent absolument suivre le mouvement du soleil pour rester focalisés sur le sommet de la tour, ce qui exige une motorisation complexe.

L’entreprise espagnole ne mise d’ailleurs pas que sur les tours solaires. Elle possède également une installation de 50 MW réalisée à l’aide de miroirs paraboliques, alignés sur 150 mètres. Avec ces deux technologies, Abengoa veut augmenter la production à Sanlúcar la Mayor pour atteindre 300 MW en 2012. Elle construira également une centrale solaire en Arizona incorporant le stockage par sels fondus.
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L’électricité solaire thermique, une inconnue au grand potentiel

De nombreux mécanismes savent tirer parti de l’énorme quantité d’énergie offerte par le soleil. La photosynthèse, le moteur du métabolisme des plantes, est le plus puissant: elle convertit quelque 100 TW d’énergie lumineuse en énergie chimique, soit cinq fois la consommation énergétique de tous les pays du monde.

Le photovoltaïque reste le mécanisme le mieux connu, avec ses panneaux solaires qui convertissent directement les photons en électricité. Les capteurs solaires vus parfois sur les toits chauffent simplement de l’eau et peuvent servir de chauffage d’appoint.

De son côté, la production d’électricité solaire thermique (ou «concentration solaire») utilise la chaleur solaire pour générer de la vapeur, faire tourner des turbines et produire ainsi de l’électricité.

Selon Abengoa, l’électricité produite par concentration solaire revient actuellement à environ 20 cents d’euro le kWh (contre 35 cents pour les cellules solaires et 7 cents pour les centrales à combustible fossile), mais devrait chuter et devenir compétitif dès 2017, avec un prix en dessous des 10 cents d’euro. Le National Renewable Energy Laboratory américain prévoit même des prix plus bas, inférieurs à 6 cents de dollar en 2020.

Mais la production d’électricité par solaire thermique chute dès que le ciel se couvre, alors que les cellules solaires restent utilisables même par temps nuageux. La concentration solaire se destine donc principalement aux régions extrêmement bien ensoleillées.

Plus modulaire et d’une installation plus aisée, le photovoltaïque trouve sa place également dans un pays comme la Suisse. «L’Europe énergétique de demain se construira sur trois grandes zones, avance Hans Björn Püttgen. Les pays du Sud s’engageront dans le solaire et ceux du Nord dans l’éolien. Au centre, les pays alpins joueront le rôle de poumon: grâce à la souplesse offerte par les barrages, ils pourront stocker l’électricité la nuit et la délivrer le jour.»
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Desertec, un projet pharaonique mal inspiré?

Le solaire électrique par concentration se trouve au cœur de Desertec, un gigantesque projet de centrales solaires situées dans le Sahara et lancé officiellement l’été dernier.

Rassemblant des entreprises comme ABB, Siemens, Abengoa ainsi que Deutsche Bank, le consortium imagine amener en Europe quelque 700’000 GWh annuels, produits sur 20 à 40 sites en Afrique du Nord et au Moyen-Orient (par comparaison, la France a consommé environ 480’000 GWh en 2007). L’électricité sera acheminée par des lignes à courant continu haute tension (HVDC), qui permettent des transports sur de longues distances avec des pertes réduites (moins de 3% tous les 1000 km).

«Technologiquement, le projet est compliqué mais reste faisable, analyse Hans Björn Püttgen. Mais d’un point de vue géopolitique et éthique, c’est bien plus problématique. D’ici à 2050, l’Afrique multipliera sa demande énergétique par 15. Comment justifier de telles constructions sur ce continent s’il ne pourra lui-même en bénéficier?

Un autre aspect concerne les matières premières de l’énergie, comme le pétrole et l’uranium, qui proviennent en grande quantité d’Afrique. Aujourd’hui, elles sont transformées dans les pays développés, qui possèdent les industries aussi bien que l’électricité nécessaire. Mais si l’Afrique commence à augmenter sa production d’électricité, il deviendra plus rationnel d’effectuer ces transformations directement sur place. Les industries de transformation de combustible devraient alors se déplacer en Afrique.»
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Une version de cet article est parue dans le magazine Reflex.