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Thierry Stern: «Si je pouvais rester dans l’ombre…»

Comment gère-t-on une marque de légende? Le nouveau président de Patek Philippe compte poursuivre l’œuvre de son père et évoque la solidité de l’entreprise familiale. Interview exclusive à la manufacture de Plan-les-Ouates.

Au-delà du discours promotionnel, tout connaisseur sait bien que Patek Philippe réalise «les plus belles montres du monde»… On connaît en revanche encore peu la personnalité de celui qui vient de prendre les rênes de la société genevoise, dont le chiffre d’affaires est estimé à 800 millions de francs pour une production annuelle d’environ 40’000 pièces.

Au siège de Plan-les-Ouates — qui vient d’être agrandi de 14’000 m2 — on découvre un jeune patron surbooké, mais néanmoins disponible, assez éloigné de l’image que l’on pourrait se faire du successeur désigné d’un tel empire familial. C’est avec jovialité et franchise que Thierry Stern a reçu Largeur.com dans sa manufacture où travaillent près de 1’100 personnes. Interview.

À 39 ans, vous accédez, au même âge que votre père à son époque, à la tête de Patek Philippe. Etait-ce voulu?

Non, c’est une pure coïncidence! En fait, nous nous en sommes rendu compte après ma nomination. C’est un hasard amusant.

Tout votre parcours professionnel s’est déroulé au sein de Patek Phillipe. Avec le recul, qu’auriez-vous fait différemment?

Je n’ai qu’un seul regret, celui de ne pas avoir travaillé quelque temps dans une autre entreprise, où je n’aurais pas été considéré comme le «fils du patron». Par exemple hors du secteur horloger. Certes, je dis cela aujourd’hui. A l’époque, je ne voulais en aucun cas quitter un certain confort pour recevoir des coups de pied au derrière…

Avez-vous le temps de mener d’autres occupations en dehors de votre travail?

Malheureusement non… Entre mes voyages à la rencontre de nos détaillants et de nos clients à travers le monde et mes deux enfants âgés de 6 et 8 ans, il ne me reste que très peu de temps libre. Je préfère le passer au calme, en famille. Je n’ai pas besoin de mener d’innombrables activités pour promouvoir notre marque ou mon ego. Si je pouvais rester dans l’ombre, je le ferais! Notre philosophie ne change pas: nos seules stars, ce sont nos montres.

Quelles vont être vos grandes orientations en termes de management dans les années à venir?

Dans l’ensemble, je vais poursuivre dans la continuité le travail de mon père. C’est l’un des avantages d’une entreprise familiale: nous n’avons pas besoin de «justifier» un nouveau poste par des changements de cap juste pour faire plaisir aux actionnaires. Notre entreprise a toutefois beaucoup grandi. Elle compte aujourd’hui 1’300 employés sur Genève, contre 500 lorsque nous avons emménagé ici à Plan-les-Ouates en 1996. Cela implique forcément d’adapter notre gouvernance et de nous ouvrir au monde extérieur. C’est pourquoi nous avons nommé au poste de directeur général Claude Peny, un ancien d’ABB. Pour chaque département, je m’entoure de spécialistes. Je sais que je ne suis pas un expert en finance ou en vente. En revanche, grâce à mon parcours et à mes origines, je suis le mieux placé pour comprendre l’ADN de Patek Philippe.

Précisément, cet ADN, comment le définiriez-vous?

Il n’y a pas de recette miracle. Comme le dit mon père, qui demeure président d’honneur, on le «sent» lorsque l’on a tenu quelques milliers de modèles dans la main. J’ai beaucoup appris en assistant à des ventes aux enchères ou en discutant avec Arnaud Tellier, conservateur du Patek Philippe Museum. Un mot peut cependant résumer la multitude de détails qui fondent l’essence de notre marque: l’intemporalité.

Prévoyez-vous de faire évoluer votre design dans les années à venir?

Notre marge de manœuvre est extrêmement réduite en termes de design. Le créateur doit savoir qu’il n’est là que pour une courte période, alors que la montre dure. C’est pourquoi tous les plus grands designers ne pourraient pas travailler pour nous. Il y a une frontière extrêmement bien définie entre une montre «fashion» et une montre intemporelle qui peut traverser les générations sans devenir obsolète. Les évolutions restent bien sûr possibles. Il y a une quinzaine d’années, j’avais par exemple proposé des cadrans gris, plutôt que blancs.

Et en ce qui concerne les matériaux?

Nous continuerons à privilégier les matériaux nobles, tels que l’or ou le cuir. Nous produisons quelques modèles en acier et en matière composite pour les bracelets, mais ils restent minoritaires. Si nous misions davantage sur ce type de modèles, nous ferions sans doute un carton sur le court terme, mais il serait très difficile par la suite de revenir vers le noble.

Est-ce la raison pour laquelle vous avez moins souffert que de nombreuses autres marques durant la crise?

Notre chiffre d’affaires est en effet demeuré stable par rapport à celui de 2008, qui était une année record. Mon père a senti très tôt que le secteur ne pouvait pas grimper sans cesse et que cela allait finir par exploser. Nous avons donc commencé à diminuer notre production dès la fin de 2007 et à stocker chez nous en prévenant nos détaillants que nous allions moins les livrer. Cela nous a permis de renoncer à tout licenciement et de conserver entier notre savoir-faire.
Il faut toutefois souligner que si nos ventes sont restées stables, le nombre de pièces écoulées a quant à lui diminué, surtout pour nos prix de départ, c’est-à-dire les modèles compris entre 10’000 et 11’000 francs. Nous avons en contrepartie connu une forte accélération pour les pièces compliquées. Je pense que cela s’explique par le fait qu’en temps instables les gens ne savent pas où investir leur argent et recherchent les valeurs les plus sûres.

À combien s’élève votre production annuelle?

À environ 40’000 pièces, dont 30’000 pour les montres mécaniques et 10’000 pour les modèles à quartz.

Comment voyez-vous l’avenir de votre marque?

Je souhaite que notre entreprise ne soit pas perçue comme une «machine» commerciale à faire de l’argent, mais comme la garante d’un savoir-faire et d’une qualité typiquement suisses. C’est pourquoi je vais m’atteler à rassembler dès que possible toutes les connaissances accumulées autour de notre société depuis plus de 170 ans, puis les faire informatiser. Bien sûr, je souhaite aussi que notre croissance se déroule dans les meilleures conditions. J’évoque souvent l’image du lapin qui, dans la publicité, dure plus longtemps. Comme lui, nous devons voir plus loin que les autres…
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Bio express

Thierry Stern «Je n’ai pas un profil universitaire, mais plutôt de terrain.» Après avoir terminé une école de commerce à Genève, Thierry Stern a suivi une formation accélérée d’une année à l’Ecole d’horlogerie du canton, puis s’est frotté à la réalité du travail de production au sein des ateliers d’habillement de l’entreprise familiale. Comme son père et son grand-père avant lui, il est ensuite parti à New York pour s’occuper des relations avec les 120 détaillants que la société compte aux Etats-Unis. Il a ensuite travaillé dans tous les départements de la société horlogère avant d’occuper le poste de responsable création de 1998 à 2003, désormais sous la responsabilité de sa femme Sandrine, qui l’a épaulé dans ce rôle durant plusieurs années. «Cela me permet aujourd’hui de savoir précisément en quoi consistent toutes les étapes de la production d’une montre, jusqu’à la vente finale au client», souligne l’intéressé.
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Une version de cet article est parue dans le magazine Trajectoire.