Personne ne le conteste: l’année dernière a été catastrophique. Si les politiques ne font plus leur boulot, ne serait-il pas temps que patronat et financiers descendent dans l’arène?
Comment ne pas éprouver un certain malaise en lisant, écoutant et voyant les innombrables commentaires en forme de bilan de l’année politique 2009? De la jérémiade larmoyante aux lamentations lancinantes, ils plaignent tous notre solitude, mais sans plus en faire l’objet de fierté de naguère.
L’exceptionnel Sonderfall est mort, il est temps de prendre les choses en main, de retrousser nos manches, de retrouver le dynamisme qui a fait notre fortune. Et chacun de tirer sur le pianiste, de déplorer la faiblesse du gouvernement, l’apathie de la classe politique.
Or, qui parle? Le peuple et ses médiateurs médiatisés: éditorialistes, observateurs, experts en tous genres. D’où le malaise. Ne sont-ce pas précisément les mêmes qui à longueur d’année nous vantent les charmes de la démocratie directe, sauf évidemment quand elle se casse le nez sur les minarets? Si démocratie directe il y a, comment se fait-il que ce peuple capable de générer d’innombrables initiatives (l’année 2009 a battu le record en ce domaine) ne parvient pas à proposer une réforme du gouvernement?
Il est vrai que l’année a été particulièrement chargée. D’UBS en Polanski, de Kadhafi en secret bancaire, les couleuvres de plus en plus noires ont été dures à avaler. Et l’Helvète de courber l’échine, de ruminer et remâcher l’amère potion, de ressasser sans fin la perte des mythes héroïques. «Sur nos monts indépendants…» Quelle indépendance? Le bouquetin désormais vient lécher le sel dans la main de l’affable touriste.
Cela fait exactement vingt ans que la classe politique claudique, en porte-à-faux avec le peuple qu’elle est censée représenter. En 1989, coup sur coup deux événements ébranlèrent nos certitudes. Le scandale des fiches mit à mal la confiance que le citoyen croyait pouvoir accorder aux institutions policières et judiciaires. Puis, fin 1989, le succès rencontré par l’initiative du GSSA en faveur d’une Suisse sans armée fit trembler un autre pilier du système. A l’époque, une minorité de 36% des votants avaient mis k.o. le mythe fondateur des Suisses nationalistes en acceptant purement et simplement de supprimer l’armée.
Trois ans plus tard, en pleine crise économique, la moitié du pays était mise au tapis par le rejet de l’entrée dans l’Espace économique éuropéen (EEE) suite à une campagne hâtive et improvisée menée par deux conseillers fédéraux romands, René Felber et Jean-Pascal Delamuraz, des visionnaires certes (c’est si rare qu’il faut le souligner), mais complètement isolés du corps mou du pays alémanique.
C’est alors qu’un des leaders du camp antieuropéen commence son ascension politique en chevauchant un populisme d’extrême-droite qui sévit toujours. Au milieu des années 1990, l’affaire des fonds juifs en déshérence (pour leurs propriétaires légitimes, pas pour nos banques), allait donner lieu au déclenchement de la première offensive américaine contre la place bancaire suisse. Et alimenter un blochérisme flirtant alors avec l’antisémitisme.
A regarder la chose de près, c’est à partir de là que la classe politique démissionne. Cette abdication frappe tous les partis sauf l’UDC. Elle est particulièrement exemplaire au PS. En 1997, Peter Bodenmann, le seul politicien capable de tenir tête à Blocher, se retire de la scène fédérale. Son départ marque le début de la blairisation des socialistes suisses qui agissent dès lors comme un parti d’opinion sans projet politique défini. En témoigne la longue, terne et zigzagante carrière ministérielle de Moritz Leuenberger au pouvoir depuis 1995.
Il est possible, mais vraiment pas certain, que nous ayons touché le fond du trou. Des économistes annoncent des jours encore plus sombres dans un proche avenir. Normalement, vu la pression à laquelle nous soumet la mondialisation, les partis, ou quelques-uns d’entre eux, devraient mettre d’urgence en chantier une révision de la constitution afin de doter le pays d’un gouvernement adapté à la vie d’aujourd’hui.
Ce n’est bien sûr pas l’UDC qui va prendre la tête de cette entreprise. Une révolution est encore moins probable. Mais pour peu que la voracité mondialisée de leurs concurrents les y pousse en leur prenant trop de sous, le patronat et la banque pourraient être contraints de se livrer à quelques tâches subalternes. Comme ils le firent au début des années 1870 pour relancer une Suisse radicale à bout de souffle.