LATITUDES

Le label VIP change de sens

On les appelle VIP, ou very important people. Mais d’où vient vraiment leur importance? Dans le domaine de l’art, du sport ou du commerce, les critères pour entrer dans la prestigieuse tribu évoluent.

«Pourquoi êtes-vous important?» C’est la question posée par une artiste à quelques dizaines de personnes au bénéfice d’un ticket VIP lors de la dernière foire Art Basel. Les réponses ont été agacées, amusées ou indifférentes: «je ne suis pas vraiment importante» (une galeriste), «parce que j’expose» (un artiste), etc.

L’ensemble des réponses et les photos des personnes interrogées font l’objet d’une exposition d’Anja Bergmann à Muttenz*. En les contemplant, le visiteur est amené à s’interroger sur son propre rapport à l’«importance». Pourquoi eux sont-ils des VIP et pas moi?

Quelques jours après cette visite bâloise, me voici à Davos pour assister à une épreuve de coupe du monde de ski de fond. L’occasion, peut-être, de croiser des VIP. Le premier rencontré n’est vraiment pas très grand: muni d’un badge, Ueli Maurer pénètre sans peine dans l’espace chauffé réservé à ses pairs.

La grande tente blanche à proximité du départ et de l’arrivée de la compétition est séparée en deux. Une moitié pour les centaines de quidams frigorifiés qui viennent s’y entasser et manger des Alpen Makronen, l’autre réservée à quelques dizaines de VIP venus déguster quelques alcools forts, installés dans des canapés moelleux. Un écran géant leur évite d’avoir à se geler pour suivre les épreuves qui se disputent par –15 degrés.

Ma tentative d’y accéder butera sur le refus de deux soldats installés à l’entrée. Ainsi donc, je suis sans importance aux yeux des organisateurs. Pas une raison pour se laisser abattre!

Dès mon retour en plaine j’entends prendre une petite revanche. Ne suis-je pas une VIP pour les CFF? En achetant un abonnement général, j’imaginais accéder à ce rang aux yeux de la grande régie fédérale. Quelle naïve… A la gare de Zürich, je suis à nouveau refoulée alors que je pensais pouvoir jouir du luxe du premier lounge pour VIP. Seuls les détenteurs d’un abonnement du première classe y sont bienvenus, rejoints demain par ceux de la Premium, la classe super luxe annoncée ce printemps.

A quelques mètres de là, la célèbre confiserie Sprüngli aurait-elle songé à une mésaventure comme la mienne en créant une cialis hamilton ontario dorée de chocolat avec l’inscription VIP en caractères gras? On se console comme on peut.

C’est dans les années quarante que la Royal Air Force a introduit la catégorie VIP réservée à l’époque à des personnages dont l’importance découlait du pouvoir qu’ils exerçaient sur la scène politique ou financière. Depuis, que de chemin parcouru! L’abréviation a pris une dimension quasi sarcastique avec sa prétendue démocratisation. Aujourd’hui, on rit bien souvent des VIP, tout en convoitant les privilèges dont ils jouissent en certaines circonstances.

Oublié le statut social, gagne le rang de VIP celui qui parvient à sortir du lot. Le monde de l’art, celui du ski de fond ou encore les CFF désignent comme bon leur semble leurs happy few baptisés VIP. Le pouvoir ou le talent ne sont désormais plus les seuls critères de sélection. La connotation mercantile de cette forme de distinction est de plus en plus frappante. Ne parle-t-on pas de «clients VIP»?

Il suffit donc de payer pour se voir parer des trois lettres convoitées. Des agences vendent à qui les payera des billets VIP. L’entrée dans les clubs VIP, fussent-ils de poker ou d’amateurs de vin, se monnaie.

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*Exposition VIP d’Anja Bergmann jusqu’au 3 janvier 2010 dans la Kunsthalle de Muttenz, sous forme d’une série d’encadrés de «Video Stills».