Les divergences de sensibilité écologique débouchent sur des conflits à l’école, au bureau, dans les couples. L’idéologie verte gagne du terrain.
«Le réchauffement climatique va provoquer des guerres», avertit Harald Welzer, le psychosociologue allemand dans son récent ouvrage iconoclaste sur la question climatique, «Les Guerres du climat» (Gallimard). «Les guerres proviennent, bien sûr, de causes multiples, mais le réchauffement climatique crée de nouvelles sources de violence, et amplifie les pénuries et les tensions existantes en matière de nourriture, d’eau ou de terres», estime ce spécialiste des causes d’émergence de la violence au sein des sociétés modernes.
Si les ressources fossiles vont s’épuiser dans un avenir proche et susciter, vraisemblablement, des guerres, les comportements plus ou moins corrects écologiquement deviennent, eux, progressivement, une source intarissable de différends. En observant ces nombreux conflits verts qui se trament déjà dans notre quotidien, l’hypothèse de la survenue de guerres n’a dès lors rien de farfelu.
Nos faits et gestes font l’objet de remarques de plus en plus acerbes. Hier encore, c’est avec un brin d’humour qu’entre amis, on faisait allusion à la lourde empreinte laissée par «le petit séjour tellement cool passé aux Canaries». Aujourd’hui, est-ce l’effet Copenhague, les commentaires légers se muent en jugements. Attention, l’opprobre peut être jetée sur vous en toute occasion et en tout lieu.
De la cour de récré à la salle de bain en passant par les pauses au bureau; les occasions de se montrer vert fourmillent. Ainsi, les parents écolo éduquent leurs rejetons à manger sainement. Du coup, à l’école, on assiste à la guerre du clan des «Mars» et petits pains blancs contre celui des carottes de proximité et des pains bio.«Ils sont terribles entre eux ces gamins, c’est nouveau, il arrive que je les entende se qualifier de «gros pollueur»», constate cet instituteur.
Avant même l’âge scolaire, ce sont les nouveaux nés qui doivent mettre pied correctement sur notre planète. Gare donc au choix des cadeaux de naissance! Oubliez l’achat d’une énième gigoteuse ou autre pyjama qui encombrera son armoire, trouvez des alternatives vertes. «The Green collection» vous suggère de planter un arbre ou de parrainer une ruche.
Grappillées ici et là, les histoires de querelles d’origine écolo sont légions. A la pause, dans cette administration communale, c’est Elsa, la nouvelle, qui découvre des pelures de mandarines et crie au scandale. «Comment, vous ne compostez pas?». C’est Fabien, l’employé de banque, qui se fait réprimander par son patron pour avoir laissé durant la nuit son ordinateur en mode veille. C’est ce médecin, mal vu de ses collègues, qui occupe une place de parc précieuse de l’hôpital alors qu’il pourrait emprunter un moyen de transport public. C’est cette caissière accusée de trop emballer les achats de ses clients.
Mieux vaut partager une même idéologie verte avant de se mettre en ménage sous peine de divorce programmé. D’emblée, voilà qui complique le choix des alliances! Pas question d’or si l’on est écolo. L’exploitation de l’or est particulièrement polluante (rejet de cyanure et de mercure) et nourrit des conflits mortels sur le continent africain. À éviter également, les pierres précieuses dont les conditions d’extraction sont polluantes et souvent inhumaines, ou sinon s’assurer d’acheter des diamants certifiés «sans conflits» suivant le processus de Kimberley, un programme international de certification.
Une fois passée une alliance verte au doigt, les occasions de querelles ne s’évaporent pas pour autant. Pauvres couples dont la vie quotidienne était déjà suffisamment riche en sujets de disputes avec les chaussettes dépareillées, les miettes de pain expédiées en douce sous la table et la poubelle pas évacuée à temps! Voici que le moindre geste peut se muer en délit contre la planète aux yeux d’un conjoint aux aguets.
Au réveil, plus question de se laver les dents sans être attentif à utiliser le moins d’eau possible. Au petit déjeuner, pomme du verger ou ananas du Ghana pour démarrer les cinq crudités du jour? Selon l’option, le verdict tombe tel un couperet. Pour se rendre au travail par ce jour de pluie, madame, un rien coupable, prend «exceptionnellement» sa voiture alors que monsieur enfourche son vélo, tellement plus propre. Le week-end venu, quelles activités mettre au programme? Ski de fond ou snow board? Les empreintes ne sont pas les mêmes? «Allez, ce sera le snow», décrète monsieur qui fâche madame.
Des divorces pour cause de divergence sur les enjeux de notre planète, ça existe. Des chercheurs se sont même intéressés à leur impact environnemental. Leur constat: la guéguerre entre deux humains dans un même appartement, c’est mieux que le divorce, écologiquement très incorrect!
Du matin au soir, de la naissance à notre mort, notre vie devrait regorger de gestes simples et efficaces pour sauver la planète. Être un «homo ecologicus» constitue un véritable défi. En couple ou non, on détecte chez l’autre ses propres paradoxes, fruits d’un désir de changement de comportement qui peine à se concrétiser. Dérisoire, l’économie d’eau lors du brossage des dents, confrontée aux bains dont on ne peut se passer au retour d’une balade dans la bise glaciale. Et le 4×4 du voisin qui empêche de voir son propre jacuzzi!