KAPITAL

La Poste nourrit le démon du jeu

Les guichetiers du Géant jaune encouragent les clients à dépenser de grosses sommes d’argent en billets de loterie. Encore plus intrusive que le télémarketing, cette pratique ralentit les queues et pose des problèmes éthiques. Enquête.

Longtemps réservés aux enfants, ravis d’ouvrir chaque jour une fenêtre, les calendriers de l’Avent ont bien évolué. Les images sacrées ont été remplacées par des friandises ou, mieux encore, par des petits cadeaux. Les adultes ont désormais aussi les leurs. En décembre, ceux-ci deviennent des «must have» de la décoration intérieure. Oubliée, la référence religieuse, le petit Jésus dans sa crèche est remplacé, ici par une boîte de caviar, là par un gros billet.

Face à l’abondance de l’offre, que choisir? L’autre jour, la Poste a tenté de faciliter mon choix.

Le bureau postal que je fréquente est menacé de disparition. Pour contribuer à son maintien (suis-je naïve?), je renonce aux paiements en ligne et me déplace au guichet. Ce jour-là, la file d’attente avance particulièrement lentement. Devant moi, agacé, un monsieur secoue la tête alors que l’employée, impassible, échange un long discours avec sa cliente.

«Vous connaissez Le Billet Le Million», ça vous intéresse?». Voilà donc l’explication au ralentissement du service. À ses usagers, le Géant jaune propose en ce moment d’acquérir, pour 100 francs, un calendrier de l’Avent à même de les transformer en Crésus.

En curieuse, je me suis rendue dans quelques offices pour y cueillir les réactions des personnes sollicitées. L’éventail est étendu, de ceux qui connaissent déjà à ceux qui veulent se donner du temps pour réfléchir, en passant par le jeune homme qui répond «ça a l’air pas mal, j’en prends un». Je n’ai entendu qu’une seule personne répondre sèchement «moi, je ne joue pas».

À Moutier, une petite localité particulièrement touchée par le chômage, l’employée est très étonnée du succès remporté. «On a presque tout vendu. Quand on les a reçus, je ne pensais pas qu’en période de crise ça allait aussi bien marcher», admet-elle. Personnes âgées et sans emplois composent une part non négligeable de sa clientèle. Une population encline à rêver de fortune miraculeuse et donc à jouer.

Inciter au jeu, une démarche bien peu éthique de la part d’un service publique. Contactée téléphoniquement, Nathalie Salamin, attachée de presse francophone de la Poste, m’explique le pourquoi d’une telle prestation. «Nos bureaux sont de moins en moins fréquentés. Vous connaissez notre situation, nous devons trouver de nouvelles sources de financement dans un marché en décroissance. Nous avons divers produits qui nous permettent de faire du bénéfice. C’est une stratégie commerciale.» L’an passé, ceux-ci ont généré 400 millions de chiffre d’affaires et un bénéfice de 20 millions.

Revenons à nos millions! La vente de ces billets de loterie n’offusque en rien mon interlocutrice, qui fait allusion à leur vente sporadique aux guichets, et qui refuse d’introduire une distinction entre la vente de vignettes pour vélos ou autos et un calendrier onéreux pas vraiment indispensable. Pour gagner des millions, la Poste n’est-elle pas en train de perdre son âme?

Du côté de la Loterie romande, pas d’aveu non plus de sacrilège avec un tel calendrier de l’Avent. Pour Jean-Luc Moner-Banet, son directeur, Le Billet Le Million «C’est un jeu très fédérateur, car il évoque le Noël de notre enfance».

Le calendrier de l’Avent de la commune jurassienne de Develier va lui aussi susciter des souvenirs d’enfance, pour le coup non monnayables… mais certainement impérissables. Durant 24 jours, à tour de rôle, ce sont autant de maisons de la localité qui vont s’illuminer et inviter la population à venir fraterniser, en partageant chaque soir le verre de l’amitié.