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Des avions de combat au-dessus des minarets

L’empressement de la classe politique à céder au chantage d’Ueli Maurer pour le remplacement des Tigers n’a d’égal que son apathie à combattre l’initiative islamophobe de l’UDC.

Ah, ils se sont précipités, comme s’ils avaient le feu du ciel au derrière. Il a suffi d’une petite phrase trouble du chef du département de la défense Ueli Maurer, aussitôt démentie, puis bientôt réaffirmée: vu leur prix, il serait prêt à reporter l’achat d’un nouvel avion de combat aux calendes grecques. Sous-entendu probable à l’intention de ses collègues: le Conseil fédéral n’a pas intérêt à se montrer trop pingre sous peine de se retrouver sans défense aérienne.

Panique quasi instantanée à la Commission de la politique de sécurité du Conseil national qui s’empressait de céder en un temps record, par 18 voix contre 8, au petit chantage du bon Ueli: pas question de report, l’armée suisse doit avoir ses avions, cela coûtera ce que ça coûtera, rompez.

Les arguments pour que la Suisse ne repousse pas la procédure actuelle d’évaluation entre le Gripen suédois, le Rafale français ou l’Eurofighter européen sont de plusieurs ordres. On en trouve même de solides et cohérents. Par exemple les retombées promises par les constructeurs aux PME locales — on parle de 800 millions, une manne qui compte dans la sinistrose ambiante.

L’argument purement militaire en revanche — l’armée doit pouvoir faire face à ses missions — fait partie de ces dogmes religieux dont il vaut mieux sourire: on ne conteste pas, on n’argumente pas contre ce qui relève de l’irrationnel et de la poésie pure. Si la Suisse avait un tant soit peu un début d’inquiétude quant à sa sécurité, elle ferait illico la seule chose réaliste à faire: adhérer à l’OTAN. Tout le reste n’est que caprices, fantaisies, amusements de colonels désœuvrés dans leur bac à sable.

Cette réactivité, cette assurance dans la défense de son bout de gras, dont ont fait preuve les lobbyistes militaires et industriels, on ne l’a pas retrouvée chez les adversaires de l’initiative anti-minarets. Lesquels se sont contentés, Conseil fédéral en tête, de larmoyer sur le thème «L‘UDC fait rien qu’à embêter ces pauvres musulmans». Alors qu’il y avait tant à dire à propos de cette initiative.

Evoquer par exemple les multiples recours devant toutes sortes de tribunaux et instances cantonales, nationales et internationales, qu’un texte si ouvertement discriminatoire pourrait occasionner. Ou souligner, comme Stéphane Lathion, président du GRIS (Groupe de recherche sur l’islam en Suisse), quelle occasion s’offrait là d’un réel débat sur une vraie question : l’islam est-il soluble dans la suissitude?

Occasion hélas manquée et dialogue escamoté par l’impéritie des uns et des autres, des initiants comme de leurs adversaires, liés par un même mal: la paranoïa chronique. «On a plus parlé des affiches et de leur interdiction que de l’initiative. Provocation, émotion et censure ne sont pas les meilleures garanties pour un débat démocratique serein», se désole Stéphane Lathion dans Le Temps.

Au passage, le même rappelle deux choses toutes simples qu’il aurait fallu proclamer haut et fort: la réalité de la présence musulmane en Suisse s’avère «peu conflictuelle», avec juste ici ou là «quelques revendications religieuses (piscine, voile, cimetières, enseignement, imam) très peu nombreuses et le plus souvent réglées sans trop de difficultés.» Et qu’ensuite, contrairement à une idée plus que reçue — matraquée — l’intégration aujourd’hui des musulmans en Suisse se passe plutôt mieux que celle, par exemple, jugée pourtant exemplaire, des Italiens dans les années 70: «On n’entend pas le dixième des insultes que l’on proférait alors à l’encontre de nos voisins catholiques du sud.»

Voilà ce qu’il aurait fallu mettre en avant au lieu de se focaliser sur la méchanceté des vilains fachos de l’UDC, comme mouches sur la merde. Au lieu, aussi, de pérorer au petit jeu de l’avion.