TECHNOPHILE

Le mythe de l’homme multitâche

Notre cerveau est-il, à l’image de nos ordinateurs, capable de zapper en permanence tout en demeurant efficace? Une étude scientifique affirme le contraire et réhabilite l’approche sélective.

Cédric a enfin compris que lorsqu’il m’appelle, je préfère qu’il abandonne un instant son clavier. J’ignore s’il continue à regarder un polar à la télé, à caresser son chien et à avaler son repas. L’effort qu’il fournit est déjà appréciable.

Au début, je ne disais rien mais je supportais très péniblement qu’il continue à tapoter sur les touches de son clavier tout en me parlant au téléphone. Puis mon mutisme s’est transformé en supplications: «J’apprécie quand tu m’appelles mais j’avoue ne pas me sentir respectée quand j’entends que tu t’adonnes à une autre activité. Tu ne peux donc pas uniquement téléphoner?»

Sa réponse consista à me faire poliment comprendre qu’il allait se plier à mon petit caprice, mais que j’étais franchement vieux jeu et qu’aujourd’hui, seuls quelques inadaptés étaient encore «monotâche».

Révolue l’époque où l’on se concentrait sur une unique activité. L’homme nouveau est cheapest cialis super active. Consulter son agenda du lendemain sur son smartphone, prendre connaissance de la météo, vérifier l’arrivée de nouveaux courriels tout en écoutant le contenu de sa combox, sans perdre le fil des infos à la télé, c’est participer à une sorte d’effervescence sociale.

Les journées ne comptent toujours que 24 heures et pour profiter des multiples sollicitations des nouvelles technologies, la solution consiste à les cumuler. Nombreuses sont les personnes persuadées qu’elles ne travaillent pas si elles ne traitent pas trois ou quatre sujets en même temps. Nous sommes entrés dans l’ère du «multitasking». Synonyme de dispersion de l’attention pour ses détracteurs, de nouvelle manière de fonctionner pour ses adeptes.

Multitâche, nos ordinateurs le sont en effet, offrant la possibilité permanente et inépuisable d’exécuter plusieurs programmes sans altérer leurs capacités. Ils ne se fatiguent pas. Notre cerveau est-il en mesure de suivre un tel régime?

Une équipe de chercheurs de l’Université de Stanford, en Californie, est allée y voir de plus près. Pensant pouvoir vérifier l’hypothèse que la «génération multitâche» a développé des facultés nouvelles d’adaptation, elle a enregistré des résultats stupéfiants qui viennent de paraître dans la revue «Proceedings of the National Academy of Sciences».

Il apparaît que les plus assidus multitaskers performent très mal dans toute une variété de tâches. Ils ne se concentrent pas aussi bien que les monotâche. Ils sont plus distraits et parviennent moins bien à passer d’une tâche à l’autre.

Alors que les scientifiques essayaient de repérer chez les multitaskers des fonctions cognitives inhabituelles qui rendraient plus performant, plus créatif, ils attendent toujours de les trouver… Ce qu’ils ont mis en évidence, ce sont au contraire des déficits.

«Ce fut un véritable choc pour moi qui suis nul en multitâche», admet Clifford Nass, un des coauteurs de l’étude. «J’admirais les multitaskers et étais sûr qu’ils possédaient des qualités rares et secrètes qui leur permettaient de traiter différents canaux d’information simultanément. Or il n’en est rien, bien au contraire».

Cent lycéens ont été classés selon leur pratique ou non du multitâche. Leur concentration, distraction et mémoire ont été quantifiées à l’aide de séries d’images électroniques qui leur étaient soumises, puis les résultats des uns et des autres ont été comparés. A l’évidence, les multitaskers s’en sortaient nettement moins bien.

Perplexes face à leur propre découverte, les chercheurs l’ont publiée mais n’en continuent pas moins à poursuivre leurs investigations sur les effets à court et à long terme du multitâche. «Le coeur du problème c’est que les multitaskers sont persuadés qu’ils sont très performants et ils parviennent à convaincre tout un chacun que tel est bien le cas», souligne Nass.

Une telle superbe se trouve contestée par un autre scientifique. Dans «Rapt», de Winifred Gallagher, un ouvrage consacré à la concentration, on lit: «Notre capacité à être multitâche est un mythe». «Vous ne pouvez pas faire deux choses à la fois. Le mécanisme de l’attention est la sélection: c’est l’un ou l’autre. (…) Les gens ont pourtant du mal à comprendre que l’attention est une ressource finie, comme l’argent.»

Et si «Qui trop embrasse mal étreint», «Chaque chose en son temps», «On ne peut être au four et au moulin», n’étaient pas des proverbes obsolètes?