GLOCAL

Le pays où l’on ne s’arrête jamais

Course au Conseil fédéral, mais aussi festivals à gogos et Tour de France en Valais: la Suisse ignore cette année toute trêve estivale. Heureusement, Kadhafi crie stop.

Il y a d’abord ceux qui parlent, même si c’est souvent un coup à tort, un coup à travers. «Pas besoin d’avoir les dents jaunes pour être Conseiller fédéral», nous assure ainsi le jeune premier Christian Lüscher, 45 ans tout de même.

Son aînée de quatorze ans Martine Brunschwig Graf certifie au contraire que mieux vaut s’être fait d’abord quelques cheveux gris dans un exécutif cantonal, si possible genevois. Sentir bon le terroir, si possible fribourgeois, gage paraît-il «de bon sens et de parler vrai». Et enfin avoir été élevée dans une famille nombreuse, «excellent entraînement pour le débat d’idées dans le respect des autres». Le Neuchâtelois Didier Burkhalter a lui aussi choisi de parler. Mais qu’a-t-il dit déjà?

Et puis il y a ceux qui se taisent. Pascal Broulis, parce qu’un échec cette fois insulterait bêtement et trop tôt un avenir des plus prometteurs. Fulvio Pelli aussi, pour des raisons de haute stratégie, à moins que ce ne soit de basses manoeuvres. Tous les présumés candidats PDC, enfin, chez qui le non-dit est un peu une seconde nature. Le non-dit ou le gazouillis mondain. On a pu ainsi entendre sur «La Télé» Urs Schwaller deviser de manière appliquée sur la très neuve question du prix faramineux, forcément faramineux, des billets au Montreux Jazz Festival.

Oui la succession Couchepin est une formidable bénédiction pour le personnel politique et ses commentateurs, assurés de rester en selle tout l’été. Mais c’est un peu un trait de ce pays et de ses bons et industrieux habitants: ne jamais dételer.

Même les footballeurs, contrairement au reste de l’Europe, se sont remis au boulot dès le 8 juillet. Mais la palme du sans-relâche revient à Verbier, la station de tous les évènements, de toutes les sensations épiques, esthétiques, sportives ou tragi-comiques: une arrivée du Tour de France, un festival de musique classique qui n’en finit pas d’accumuler, chaque été, un peu plus de prestige et, pour pimenter la sauce, quelques cas de grippe H1N1 dans les colonies de vacances au grand air.

Comment s’étonner, après ça, que le monde entier, peuplé essentiellement, comme on le sait, de vils paresseux, de bras cassés, de vacanciers perpétuels, nous en veuille de plus en plus. Nous supporte de moins en moins. Piaffe de mettre à genoux nos banques, de supprimer nos secrets et autres forfaits.

Une vraie nation d’ailleurs — ce que la Suisse ne sera évidemment jamais — sait prendre du repos. On se souvient presque avec respect un peu partout de la canicule 2003 qui avait pris de court une élite politique française massivement loin de Paris pour cause de farniente bien mérité. Et tant pis si la pagaille qui s’en était suivie avait causé 15’000 morts.

Le colonel Kadhafi, qui en connaît un bout sur l’art de se dorer au soleil sans trop s’agiter au service de son peuple, ou exhorter sa police à être impitoyable même avec les puissants, a osé en tirer les conclusions qui s’imposaient. À dire tout haut ce qu’il n’est sans doute pas le seul à ruminer: que cette Suisse qui s’agite, trépigne, danse, négocie, proteste, et financerait même à ses heures perdues rien moins que «le terrorisme international» n’est décidement pas un Etat, mais comment dire, plutôt, allez, «une maffia mondiale». Que tous ces italophones, germanophones, et francophones sans repos devraient être rendus à leurs berceaux respectifs, histoire d’apprendre un peu l’art de la sieste, les bienfaits de l’inaction et de la méditation, plutôt que mettre la planète à feu et à sang, via ces armes de destruction massive que sont les comptes numérotés.

Il y a peu de chances que le brave colonel soit entendu. Déjà se profile le Paleo et toujours, jusqu’à la mi-septembre, la perspective en terrasses de gloser sur cette fascinante question: deux PDC et un radical au Conseil fédéral, cela vaut-il mieux que le contraire?