Dix ans après son lancement en demi-teinte, suivi d’une longue traversée du désert, la petite citadine rencontre un succès phénoménal et inespéré, notamment en Italie et aux Etats-Unis.
C’est l’histoire d’une voiture qui a eu raison dix ans trop tôt. Quand en 1998, Nicolas Hayek, président de Swatch Group, lance la Smart en association avec Mercedes, propriété de Daimler, le marché n’est pas mûr pour lui réserver le triomphe espéré. Vendue au prix fort, la petite citadine atypique, stricte deux-places, échoue à conquérir un large public. Et tout le monde ricane.
Dix ans plus tard, fait unique dans l’histoire de l’automobile, la situation s’est complètement renversée. L’an dernier, les ventes de Smart Fortwo dans le monde ont bondi de 34%, atteignant le niveau record de 134 800 voitures écoulées. Le lancement sur le marché américain en février 2008 a même dépassé toutes les espérances: près de 25 000 véhicules vendus en moins d’un an, soit 10 000 de plus que les prévisions de Daimler. Et la success story se poursuit depuis le début de l’année: le ralentissement économique mondial ne freine que très modérément ses ventes, dans un marché où toutes les marques s’effondrent: «6300 Smart ont déjà été vendues aux Etats-Unis et 10 400 en Italie», rapporte Winfried Schult, responsable de la communication du groupe Daimler.
Dans ces conditions, difficile d’imaginer que la marque a failli disparaître… Entre 2002 et 2006, elle aurait pourtant perdu près de 8 milliards de francs, selon les spécialistes. Sa résurrection, Smart la doit à une conjonction de facteurs favorables. Outre le recentrage salutaire sur la Fortwo en 2005 (Daimler abandonne le Roadster et la quatre- places Forfour, trop chers et éloignés du projet initial), il y a évidemment le prix de l’essence, les préoccupations écologiques, l’encombrement des villes ou, pour les Etats-Unis, l’attrait de la nouveauté. Mais comment expliquer, par exemple, l’engouement des Italiens pour la petite deux-places? A Rome, Turin ou Milan, les Smart Fortwo pullulent sur les trottoirs encombrés, et il n’est pas rare d’en trouver trois ou quatre parquées à la suite, parallèlement à la chaussée ou à angle droit.
Consultant automobile au cabinet parisien Lincoln, Alain Rizzo avance l’explication suivante: «Les grandes métropoles italiennes, friandes de petites voitures à la mode, ont toujours été d’excellents marchés pour la Smart, mais récemment, la politique gouvernementale vis-à-vis des taux d’émission de CO2a encore accentué le phénomène. Les primes d’Etat à la casse et autres bonus écologiques ont joué à fond pour la Smart. Dans une moindre mesure, c’est aussi le cas en France et dans d’autres pays d’Europe. Et comme Daimler a fait un gros effort sur les tarifs ces deux dernières années, la Smart devient soudain accessible à une nouvelle couche de la population. Elle permet au citoyen italien lambda d’accéder à une voiture symbole, synonyme d’aisance et de réussite. L’employé peut s’offrir la même voiture que son patron, qui lui achète la Smart comme une troisième voiture.»
En Suisse également, l’embellie est spectaculaire, et cela malgré l’absence d’aides d’Etat (le modèle de base démarre à 15 000 francs sans options, un modèle raisonnablement équipé coûte environ 20 000 francs). «De janvier à avril 2009, les ventes sont en hausse de 25% par rapport à la même période de 2008», se réjouit Olivier Peter, porte-parole de Daimler pour la Suisse. Des chiffres qui n’étonnent pas Christophe Laborde, analyste chez Bordier & Cie: «La demande spécifique pour de brefs déplacements à usage urbain est en nette augmentation, comme le montrent les statistiques. Et parallèlement, le trend écologique s’est fortement développé. Sur ces deux tableaux, la Smart a un coup d’avance.»
Mais rien n’est joué pour autant, car la microcitadine devra désormais compter avec une rivale affûtée: l’étonnante et très design Toyota iQ, apparue ce printemps. Longue de 298 centimètres (certes 29 de plus que la Smart), la japonaise réussit le tour de force de loger quatre personnes, à partir de 21’700 francs. Un match à suivre de près.
Tout comme ce prochain défi: la conquête des mégapoles chinoises, où Daimler proposera la Smart dès cet été. En attendant la Fortwo à moteur électrique, dont la commercialisation en série est attendue pour l’année 2012…
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Une version de cet article est parue dans le magazine économique Bilan du 3 juin 2009.