Un patronyme étranger réduit les chances professionnelles. Pourtant, la loi n’accepte toujours pas ce motif pour autoriser un changement.
«La discrimination à l’embauche existe bien dans notre pays, déclare Roberto Rodriguez, coprésident de Secondos Plus, une association défendant les intérêts des étrangers de deuxième génération. Des études faites à Zurich auprès d’écoliers sortant du secondaire l’ont démontré: porter un nom à consonance étrangère réduit les chances de trouver un apprentissage.» Malgré cela, les étrangers n’ont quasiment aucune chance de pouvoir helvétiser leur nom lors de leur naturalisation. Car les administrations cantonales – responsables en la matière – interprètent la loi d’une manière des plus restrictives. Elles n’autorisent en principe que des changements cosmétiques, comme le retrait d’un caractère inconnu (une cédille sous un «s» ou un «o» barré) ou la simplification d’une partie du nom (comme par exemple la combinaison «skj»).
Nous nous basons sur la jurisprudence du Tribunal fédéral, se justifie Gérald Derivaz, responsable de la direction de l’Etat civil du canton de Vaud. Elle confirme qu’il appartient au demandeur de démontrer que son nom lui porte un préjudice majeur, comme exigé par la loi.» La discrimination à l’embauche n’est donc pas un préjudice? «Porter un nom étranger ne crée pas forcément un handicap. Je peux imaginer qu’un nom étranger puisse parfois poser problème pour un emploi très qualifié comme par exemple dans une banque, mais pas pour des professions dans l’hôtellerie ou l’agriculture, où l’on trouve un grand nombre de Suisses d’origine étrangère.» Point de vue surprenant, car c’est bien dans la recherche de places d’apprentissage que les problèmes surgissent, précise Roberto Rodriguez, de Secondos Plus, et bien moins chez des personnes bardées de diplômes.
Les administrations possèdent une petite marge de manœuvre qui, étonnamment, profite parfois aux riches. «Nous sommes entrés en matière dans le cas d’industriels d’origine maghrébine qui rencontraient des problèmes lorsqu’ils se rendaient aux Etats-Unis, indique Gérald Derivaz, ou qui avançaient des risques de discrimination dans des pays anglo-saxons.»
Genève se montre un soupçon plus flexible. «Nous autorisons parfois le raccourcissement d’un nom excessivement long», précise Nicolas Bolle, du Département des institutions du canton de Genève. Quelle chance aurait un étranger qui accompagnerait sa demande d’une étude prouvant la discrimination générée par un nom étranger? Aucune, car «nous risquerions de voir apparaître l’idée du nom à la carte».
La loi est même revenue en arrière, souligne Roberto Rodriguez: «Auparavant, elle permettait parfois l’helvétisation de son nom, comme le montre l’exemple d’un conseiller national qui avait changé son nom de Josic en Jositsch.» Mais la récente proposition de la conseillère aux Etats Anita Fetz (PS/BS) d’autoriser au niveau fédéral le changement de nom lors d’une naturalisation vient d’être rejetée par le Conseil fédéral et, lundi, par le Conseil des Etats. Une occasion manquée, qui aurait offert une solution pragmatique susceptible d’aider des jeunes dans des cas concrets – et cela même si certains n’y voient qu’un symbole de défaite dans le combat pour une meilleure intégration.
En 2007 déjà, Secondos Plus avait proposé de faciliter les changements de nom au niveau cantonal, et encouragé en parallèle l’usage du CV anonyme. Mais même cette idée toute simple peine encore à faire sa place.
Pour promouvoir l’égalité des chances, la Société suisse des employés de commerce (SEC Suisse) a récemment mis en place à Zurich un système de recrutement anonyme qui masque le nom et le sexe des candidats à des places d’apprentissage. L’initiative a bien fonctionné – et dévoilé par là même des habitudes discriminatoires. «Les jeunes nes au nom étranger qui ont pu décrocher un premier entretien via notre plateforme ont été plus nombreux que lors découvert, se réjouit Luc Python, secrétaire romand de SEC Suisse. Les entreprises ont d’ailleurs été surprises de trouver plus de candidats correspondant à leurs besoins que prévu.» Aux Etats-Unis, les CV n’incluent jamais de photos ou de données sur le sexe ou l’âge, pour éviter les risques de racisme ou de sexisme. Alors pourquoi pas en Suisse? «Il n’existe pas de véritable volonté de généraliser la procédure du CV anonyme, même parmi les administrations publiques», regrette Luc Python.
Comme le montrent nos témoignages ci-contre, les étrangers de première ou de deuxième génération sont partagés. Ils sont nombreux à ne pas vouloir perdre leur nom et ainsi une partie de leur identité. Mais offrir le choix, évidemment, ne force personne. Et ouvrirait enfin les yeux d’une Suisse qui s’illusionne de croire que la discrimination, «ce n’est pas chez nous».
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«Une solution à la discrimination»
Tidiane Diouwara, 43 ans, président du Forum des étrangers, Lausanne. Originaire de Mauritanie. «Face au grave problème social de la discrimination, la possibilité de changement de nom m’apparaît comme une solution. Il est évident qu’un patronyme à consonance extraeuropéenne défavorise une personne dans son quotidien en Suisse, notamment dans la recherche d’un travail ou d’un logement. C’est un fait que je constate fréquemment. Je comprends donc tout à fait que des gens soient tentés d’abandonner leur nom, afin d’éviter les incessantes discriminations. Je considère très positive l’idée de donner la possibilité aux Suisses fraîchement naturalisés d’helvétiser leur nom. Il est bien entendu dommage de devoir en arriver là, mais cette loi permettrait de faciliter concrètement la vie de nombreuses personnes.»
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«Simplifier la vie»
Vimol Pongpaew, 35 ans, journaliste, Genève. Originaire de Thaïlande. «Lorsque j’étais enfant, mon nom me faisait parfois honte. Au moment de mon mariage, c’est donc assez logiquement que j’ai opté pour Studer, le nom de mon mari. Une décision toutefois difficile à prendre, car j’étais la dernière personne de la famille à pouvoir perpétuer mon nom. Mais cela m’a simplifié la vie, car j’en avais assez de devoir sans arrêt épeler «Pongpaew». Toutefois, en raison de mon prénom, les gens n’arrivent toujours pas à distinguer si je suis un homme ou une femme! Si j’en avais la possibilité, je le modifierais donc aussi, car c’est très énervant. En revanche, je n’ai jamais souffert de discrimination professionnelle. Il faut dire que je suis arrivée en Suisse à l’âge de 4 ans et que j’y ai fait toutes mes études. Dans ma carrière de journaliste, avoir un nom différent a même parfois comporté des avantages, car les gens s’en souviennent bien.»
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«Une question d’identité»
Atchuthar Maalmarugan, 41 ans, informaticien et président de l’association Forum Tamouls Suisse, Sion. «J’ai hérité mon patronyme de mon grand-père, je le considère comme faisant partie de mon identité et ne pourrais jamais l’effacer. Depuis que je suis arrivé en Suisse il y a plus de vingt ans, je dois constamment épeler mon nom. C’est un peu embêtant, mais tout à fait normal. Sa sonorité n’est pas facilement compréhensible pour les Suisses. En revanche, ce qui est plus difficile, ce sont les moqueries qu’on doit parfois subir. Elles proviennent de personnes généralement peu éduquées; donc je ne crois pas que ce soit une raison suffisante pour vouloir changer de nom. De toute façon, dans mon cas, même si je changeais de nom, la couleur de ma peau resterait foncée. Et cela peut parfois provoquer davantage de discrimination qu’un nom.»
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«Une aberration»
Albana Krasniqi, 38 ans, coordinatrice de l’Université populaire albanaise à Genève. «Changer de nom est une aberration! Je suis naturalisée suisse, mais très fière de mon nom, qui représente mes origines et mon identité. Lorsqu’on devient Suisse, on devient binational, cela représente une richesse, et non pas la perte de son ancienne culture. Personnellement, je n’ai jamais souffert de discrimination en Suisse, sous quelque forme que ce soit. Peut-être ai-je eu de la chance ou est-ce dû au fait que je bénéficiais d’une bonne éducation. La discrimination est un phénomène complexe, lié à de nombreux facteurs, pas seulement au nom. Je considère qu’il serait plus adéquat de faire le travail d’adaptation dans l’autre sens, c’est-à-dire d’habituer les personnes qui ne le sont pas aux noms à consonances étrangères.»
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Collaboration Geneviève Ruiz.
Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 28 mai 2009.