Le nom d’une entreprise ou d’un produit représente un capital, à valoriser. Mais avant cela, il faut le choisir avec soin. Exemples de réussites, et commentaires de spécialistes.
Adieu EOS. Adieu Atel. Le rapprochement entre les deux géants suisses de l’électricité, en décembre dernier, a accouché d’un nouveau nom: Alpiq.
«Je le trouve très bien choisi, dit Chantal Baer, directrice de Nomen Switzerland, une entreprise basée à Founex (VD) qui s’occupe de trouver des noms de marques et de produits. La première partie du mot évoque l’origine géographique du courant: les Alpes. Alors que la deuxième moitié fait référence à la notion de pic électrique. Au final, il s’agit d’un nom très rationnel qui fonctionnera aussi à l’étranger.»
Pour se faire une place dans un marché toujours plus compétitif, le choix du nom d’un nouveau produit ou d’une entreprise représente une étape cruciale de la stratégie globale de ce que l’on appelle «branding». Cet anglicisme — qui désignait auparavant le marquage d’esclaves ou du bétail — englobe tout le processus d’identification par lequel une marque va se développer.
En appelant sa nouvelle ligne de soins «I am», d’après la chanson phare «I Am What I Am», de Gloria Gaynor, le distributeur Migros vient de faire mouche. Les clientes de tous âges s’identifient aux femmes du spot publicitaire diffusé en boucle à la télévision et les plus jeunes recherchent fébrilement «la chanson de la pub Migros» sur le Net. Verdict de Chantal Baer: une campagne courageuse et vendeuse. Grâce, notamment, à un choix judicieux de la dénomination du produit.
En plus du nom, Victoria Dix, présidente de la filiale suisse de Cohn & Wolfe, égrène huit autres éléments-clés: la vision, la mission, les valeurs, les promesses, le positionnement, la cible, la personnalisation et l’offre globale d’une entreprise.
Les grandes multinationales anglo-saxonnes ont compris très tôt l’importance de ces éléments qui «symbolisent toute une stratégie d’identification du produit en amont», résume Chantal Baer, à qui l’on doit par exemple la ligne de montres Evidenza chez Longines. Sur le plan mondial, Nomen a trouvé plus de 1200 noms dont celui du TGV Lyria, du parfum Miracle de Lancôme, de la boisson Zen de Danone et celui de Logan pour le constructeur Dacia.
Quand on choisit un nouveau nom, il faut commencer par «cerner ce qui le rend unique», explique Chantal Baer. Puis il faut tenir compte des aspects linguistiques, sémantiques et surtout juridiques. Cette dernière étape est bien plus délicate qu’il n’y paraît, car 7000 nouveaux noms sont déposés chaque jour dans le monde. Ce qui complique le choix et la recherche: il faut s’assurer que le nouveau nom ne soit pas déjà déposé quelque part dans un secteur concurrent ou qui peut le devenir…
«Nous utilisons le processus de l’entonnoir. Sur 1000 mots, nous en retenons une vingtaine ou une trentaine avec le client.» Une limitation liée aux coûts financiers engendrés par les démarches juridiques.
Récemment, l’agence Nomen a trouvé le nom «Amavita» pour le plus grand réseau de pharmacies de Suisse appartenant au groupe GaleniCare.
«Le client voulait à la fois quelque chose de sérieux, qui «fasse médical», et d’émotionnel. Impossible! Pour sortir de ce carcan pharmaceutique, nous avons insisté sur l’aspect émotionnel. En imaginant, par exemple, une femme qui se rend à la pharmacie après avoir eu son premier enfant. Avec Amavita (aime la vie), qui est en plus facile à prononcer, nous avons réussi à convaincre le client.» Prix? Dans le cas d’Amavita, l’agence a facturé moins de 20’000 francs.
Pour la ligne Evidenza de Longines, il faut compter davantage, le nom ayant été vérifié et enregistré dans plusieurs pays. Et pour le marché chinois, Evidenza a même subi une «translittération», la transformation du mot selon l’alphabet du pays avec le même sens et la même sonorité…
Il faut également savoir que les noms sont déposés par classes de produits. Exemple, l’appellation Dolce Vita, qui désigne à la fois des montres (Longines, Opex), un parfum (Dior) ou encore une marque de Gaz de France. Inutile cependant d’espérer enregistrer un nom comme Nike, même pour vendre des casseroles: le nom est trop connu.
Hors catégorie, l’industrie pharma-médicale, où le naming d’un produit délivré sur ordonnance se facture plusieurs centaines de milliers de francs. Principale raison: le nom devra avoir fait l’objet d’une enquête auprès des médecins et des pharmaciens afin de s’assurer qu’il ne pourra pas avoir été confondu sur une ordonnance griffonnée avec un autre produit à l’appellation similaire. Ensuite, il pourra être approuvé par les instances internationales. Pour une marque ou un produit classique, il faudra investir entre 15’000 et 30’000 francs.
Les agences sérieuses offrent une garantie juridique et sémantique. Précision utile quand on repense à certains couacs. Tous les spécialistes citent le cas du 4×4 Pajero de Mitsubishi: en espagnol, pajero signifie «branleur»… Résultat, dans les pays hispanophones, le Pajero a dû être rebaptisé Montero.
Inutile de préciser que la Mazda «Laputa» et la Suzuki«Lapin», qui existent en Asie, ont été rebaptisées sur les marchés occidentaux, contrairement à la Toyota MR2, qui a fait rire dans les pays francophones avant de devenir simplement MR.
Donner son propre nom à son entreprise peut aussi poser problème; il suffit de se souvenir du cas de l’horloger Franck Muller,qui avait tenté de récupérer le nom donné à l’entreprise quand il s’était séparé de son associé. Aujourd’hui, après la tendance que Victoria Dix appelle «la soupe aux initiales», il est surtout question de valeurs.
«La gamme «I am» de Migros correspond parfaitement à ce courant d’affirmation et d’individualisation», résume Chantal Baer. La cohérence, voilà le maître mot. Le choix d’Unique pour l’aéroport de Zurich?
«De la cohérence à l’envers! On prête aux Zurichois une indécrottable arrogance, et voilà qu’ils tapent dans le mille en confirmant involontairement ce cliché!» L’agence doit éviter de faire intervenir l’émotionnel: «Peu importe que le nom me plaise à moi ou non: il doit plaire à tout le monde.»
Un nom seul ne fait cependant pas tout, insistent les professionnels. «Il n’est ni l’atout déterminant ni un problème en soi, estime Hervé Ziga. Le directeur de l’agence lausannoise Essencedesign cite la marque Häagen-Dazs. Son nom imprononçable ne l’empêche pas d’avoir une bonne image et de représenter une excellente marque!»
Surtout, «il ne faut pas croire qu’on se met autour d’une table et qu’on pioche au hasard». «Je reçois des appels de gens qui me demandent si nous n’aurions pas une petite idée de nom, sourit Chantal Baer. Un nom, cela ne tombe pas du ciel.»
Du naming au branding
Au-delà du naming,un branding complet va coûter plus cher, voire beaucoup plus cher. Cela peut susciter des craintes, admet Hervé Zigaqui dirige l’agence Essencedesign, spécialisée dans le brand management. D’autant que, en Suisse, «on préfère dépenser de l’argent pour des campagnes de communication, sans penser à valoriser le capital-marque. Lorsque nous démarchons les sociétés, elles découvrent souvent ce concept. »
Les entreprises locales sont plus frileuses, mais l’intérêt ne cesse de croître. Début octobre, une Masterclass sur le branding, animée par des personnalités de la branche, a ainsi attiré plus d’une centaine de professionnels à Genève.
«Nous avons encore des entreprises qui viennent nous voir en disant: nous voulons juste un nouveau logo et une nouvelle carte de visite, raconte Victoria Dix. Là, les voyants se mettent au rouge.»
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Une version de cet article a été publiée par le magazine Bilan du 7 avril 2009. Collaboration: Bertrand Beauté.