Les détenteurs d’une connexion internet doivent désormais s’acquitter de la taxe audiovisuelle. Les médias online privés devraient-ils, du coup, toucher une part du gâteau? Editeurs et politiques sont divisés.
«Comme les radios et télés locales, nous assurons une mission d’intérêt public. Il serait donc tout à fait logique et normal que nous touchions, nous aussi, une part de la redevance.» Nina Brissot, rédactrice en chef du journal de l’Est lausannois Le Régional, résume une question que certains éditeurs locaux se posent. Surtout ceux qui sont actifs sur l’internet car l’assiette de la taxe – qui a rapporté 1,2 milliard de francs en 2008 – est élargie depuis septembre dernier aux personnes qui consultent la radio ou la télévision sur leur ordinateur ou leur téléphone mobile. La redevance rapportera davantage et se pose du coup la question d’une nouvelle répartition, d’autant que l’on réfléchit par ailleurs à une suppression de l’organe de perception Billag, jugé trop coûteux.
La question des éditeurs répond à une logique simple: les chaînes de télévision privées et les radios locales reçoivent une part de la redevance. Dès lors que l’internet sera aussi taxé, pourquoi les sites d’information locale, les radios internet, voire les journaux régionaux, s’ils remplissent les critères nécessaires, ne pourraient-ils pas, eux aussi, bénéficier de ce soutien?
Jusqu’ici, la SSR SRG est le principal bénéficiaire de la redevance, avec 1,11 milliard de francs touchés en 2008. Outre les quotes-parts reversées à l’organe de perception Billag (53 millions) et à l’Office fédéral de la communication (4 millions), le reste de la manne (50 millions) est partagé entre 25 télévisions et radios locales. Ces médias privés bénéficient de cette aide étatique car ils assurent une mission d’intérêt public en diffusant des informations locales.
Une mission que les éditeurs locaux remplissent aussi, que ce soit online ou sur papier. «Ce serait une bonne idée que tous les médias assurant une mission locale d’intérêt public puissent bénéficier d’une aide», estime Nina Brissot.
«Seule une décision du Parlement pourrait faire évoluer cette répartition», explique Caroline Sauser, porte-parole de l’Office fédéral de la communication (Ofcom). Et côté politique, les positions sont divisées. «Je suis absolument contre, tempête le conseiller national Filippo Leutenegger (PLR/ZH). Lorsque des entreprises privées touchent des fonds publics, c’est le péché originel.»
Un avis partagé par Eric Hoesli, directeur des publications régionales chez Edipresse: «En Belgique francophone, où la presse a été largement subventionnée, on a vu les effets pervers: les journaux sont devenus dépendants de la manne et ont fait moins attention à leurs dépenses.»
Le socialiste Didier Berberat, conseiller national neuchâtelois et membre de la Commission des transports et des télécommunications (CTT), est moins catégorique: «Si, dans les prochaines années, les médias online se développent et commencent à assurer une mission de service public, il faudra se poser la question de les soutenir par le biais de la redevance.»
«Je ne suis absolument pas fermée à ce type de discussion, renchérit la conseillère aux Etats Géraldine Savary (PS/ VD), membre de la CTT. Mais, pour que nous en parlions en commission, il faudrait que les éditeurs revendiquent quelque chose de précis et, pour le moment, ce n’est pas le cas.» Pour quelle raison? La peur de perdre leur indépendance. «Sans l’ombre d’un doute, nous assurons, nous aussi, une mission de service public, mais je reste réservé sur l’opportunité de toucher des subventions, dit Louis Ruffieux, rédacteur en chef de La Liberté, principal quotidien fribourgeois. L’indépendance de mon journal ne serait peut-être pas menacée, mais je ne serais pas à l’aise en sachant que notre titre survit grâce à l’Etat.»
Un avis partagé par Nicolas Willemin, rédacteur en chef du quotidien neuchâtelois L’Express: «Ne pas recevoir d’argent est une garantie d’indépendance.» Un argument qui ne convainc pas Nina Brissot, du Régional. «La publicité pose aussi des problèmes d’indépendance. Pourtant, tous les journaux en accueillent!»
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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 26 mars 2009.