Le nouveau président admet que la solution en Afghanistan ne sera pas seulement militaire. Pour régler un conflit vieux de 150 ans, il y envoie un émissaire de poids. Un pacificateur.
Le nouveau président américain affronte ces jours-ci pour la première fois la dramatique question de la guerre en Afghanistan.
Mardi (17/2), il a annoncé l’envoi supplémentaire de 17’000 soldats dans les mois qui viennent. Jeudi et vendredi (19-20/02), les ministres de la Défense de l’Alliance atlantique se retrouvent à Cracovie pour un tour d’horizon général et pour donner l’occasion à Robert Gates, le ministre américain, d’obtenir de ses alliés l’envoi de très hypothétiques renforts.
En attendant que le nouveau gouvernement ait choisi sa ligne de conduite, Washington laisse filtrer des analyses proposées par divers think tanks. Ainsi, il ne serait plus question d’obtenir une victoire militaire dans le sens strict. L’effort militaire est maintenu, renforcé même, mais la victoire sera politique. Cela implique l’amélioration de la fonctionnalité gouvernementale, en commençant par la lutte contre la corruption. Cela suppose aussi une reprise en main des forces de police qui pour l’heure ne sont pas fiables.
Cela exige enfin une aide économique réelle, contrôlée dans son application, répondant à des besoins déjà définis il y a vingt ans au moment de la victoire sur les Soviétiques.
Pour coiffer ces bonnes résolutions qui n’ont rien d’original tant elles sont rabâchées depuis des années sans être pour autant suivies d’effets, Obama a encore insisté sur la lutte contre le trafic de la drogue et la nécessité de résoudre le «problème» de la frontière pakistano-afghane.
Mine de rien, ce problème de frontière est peut-être la clé de tous les autres. Il implique de trouver la solution pour intégrer l’immense massif montagneux de l’Hindu Kush et ses habitants, les tribus pachtounes, dans le cadre étroit d’un Etat-nation. Le «problème» comme dit Barack Obama ne date pas d’aujourd’hui: il remonte au déclenchement de la première guerre anglo-afghane en 1839 (!) quand les Anglais tentèrent de mettre la main sur le pays pour empêcher les Russes de le faire à leur place et d’accéder à l’Océan indien, mer on ne peut plus chaude.
A la fin du siècle, vers 1880, une nouvelle guerre anglaise ne permit pas plus de fixer la frontière qui séparait alors l’Empire des Indes de l’Afghanistan, coupant bizarrement vallées et montagnes, tranchant à vif dans des zones tribales où les gens depuis toujours nomadisaient d’une vallée à l’autre sans même imaginer le sens du mot frontière. Or on leur collait plus de deux mille kilomètres de frontière sur le dos!
Les guerres mondiales et la guerre froide gelèrent ce conflit qui ne reprit à vivre que lors de la guerre civile des années 1990, et avec l’invasion américaine de 2001. Depuis septembre 2008, les Etats-Unis ont élargi leur action militaire au territoire pakistanais et, sans trop se soucier du droit international, bombardent lourdement les zones tribales frontalières.
Les hasards de l’histoire font que cette date de septembre 2008 est aussi celle qui vit le déchaînement de la crise financière et l’amorce de la crise économique. Quel rapport avec le Waziristan?
Il faut le chercher dans la modification profonde des rapports entre les grandes puissances. L’Afghanistan a connu depuis deux siècles un sort dramatique parce qu’il se trouve à un carrefour géostratégique très important entre l’Iran, la Russie, la Chine et les Anglo-Saxons (Empire des Indes, puis Pakistan). C’est un nœud, comme on en trouve quelques autres en Eurasie: le Caucase, la Transylvanie, la Suisse. Les tensions qui firent son malheur dépendirent essentiellement du choc entre les intérêts russe et anglo-saxons.
L’effondrement de l’URSS provoqua un vide dans lequel s’engouffra le tourbillon mortifère de la guerre civile. Au grand dam des Anglo-Saxons, leurs alliés du nord du pays (le fameux Massoud) furent battus par des Pachtounes intégristes peu fréquentables, les talibans. La nouvelle donne, suite à la crise économique, est que tant les Russes que les Américains n’ont plus les moyens économiques de leur politique. Ils n’ont même plus intérêt à faire de la soumission ou non des Pachtounes un casus belli.
Par gain de paix, ils pourraient se contenter de les isoler fermement dans leurs montagnes. Il est donc théoriquement possible à un bon diplomate de s’enfiler dans les anfractuosités de l’Hindu Kush et de faire aux uns et aux autres des promesses en veux-tu en voila. Que Richard Holbrooke soit l’envoyé spécial du président Obama chargé de régler la question est de ce point de vue hautement significatif.
C’est l’homme qui est parvenu pacifier vaille que vaille les Balkans en embobinant Milosevic et en imposant les Accords de Dayton dont on peut tout dire sauf qu’ils n’ont pas ramené la paix.