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L’art de fouetter les chats

En pleine crise financière mondiale, et tout en repoussant aux calendes grecques l’application de l’initiative des Alpes, la Suisse trouve urgent de légiférer sur les peaux de chats. Ou de gloser sur les manières du seul parlementaire fédéral noir.

Ah le transfert de la route au rail! Ah la démocratie directe! Ces deux belles idées, à têtes de serpent de mer, résument à elle seules l’initiative des Alpes. Souvenez-vous, en 1994, à la surprise générale et à la consternation des trois quarts du monde politique et de la totalité de la sphère économique, elle était acceptée par le peuple, ce saugrenu. Un texte qui prévoyait qu’en l’espace de dix années, un délai qui semblait alors raisonnable, les gros camions pour traverser les Alpes allaient devoir monter dans les petits trains et franchir nos célèbres et coûteux tunnels.

Quatorze ans plus tard, on en est encore à discuter sur la façon de s’y prendre. Le parlement accouche ces jours d’une idée baroque, qui attirera probablement les foudres de la communauté européenne: une bourse aux poids lourds, avec un nombre de passages limités à 650’000 par année, vendus aux enchères, le solde étant contraint au pèlerinage ferroviaire. Une idée bancale et dont l’entrée en vigueur est fixée à 2019. Démocratie directe, mais lambine. Preuve que la vox populi, quand elle ne plaît pas aux élites, quand ni les acteurs politiques ni les princes de l’économie n’y mettent du leur, n’est guère prise au sérieux.

Mais bon, le parlement a d’autres chats à fouetter. La crise financière mondiale? Vous n’y pensez pas, il faut laisser ça aux grandes personnes, aux gens sérieux. Non, il s’agit de chats véritables. Ceux qui font régulièrement la une des journaux et dont on vendrait et exporterait les peaux par milliers, que dis-je, par dizaines voire centaines de milliers. Au moins. Sinon, on comprendrait mal que deux ou trois peaux bradées dans une tannerie biennoise, à l’origine du feuilleton, suffisent à mettre en branle la machine parlementaire.

Toujours est-il que l’association SOS chats a réussi à trouver un conseiller national en mal de notoriété pour déposer une motion réclamant l’interdiction du commerce des peaux de chats et que le sujet est arrivé cette semaine devant le Conseil aux Etats. Luc Barthassat est genevois et démocrate-chrétien, affublé, de son propre aveu et dès l’enfance, du rigolo sobriquet de Barthachat.

Bon bougre, il le reconnaît franchement: «Cela m’a donné l’occasion de me faire de la pub et de parler de mes autres propositions.» On en frémit déjà.

Auparavant, la commission de la science, de l’éducation et de la culture — c’est un minimum pour discuter sérieusement du destin de nos amis griffus — avait donné son avis, évidemment favorable. Il s’agit sans doute d’une première dans une longue série à venir: légiférer sur une légende urbaine. Il est en effet à peu près établi que l’écrasante (pardon, pardon) majorité des chats qui disparaissent sont victimes d’un prédateur quasi unique et trop bien connu: sa majesté bagnole.

Il serait cependant injuste de s’acharner sur Barthachat: il existe bien d’autres députés fantômes sous la coupole. Une cinquantaine, apprend-ton au détour d’une vilaine polémique, celle concernant le socialiste Ricardo Lumengo dont la prestation à l’émission «Classe politique» sur la TSR a été jugée catastrophique par certains.

Un quotidien de boulevard s’indigne ainsi qu’il ait osé dire des incongruités comme «nous soutenons Samuel Schmid», ce qui est à peu près la position actuel du PS. Ou, à propos du débat sur l’armée «mes camarades de parti n’ont pas compris, nous ferons mieux la prochaine fois», ce qui effectivement ne se dit pas comme ça dans le langage feutré et faux cul de la politique mais n’est peut-être pas tout à fait faux.

Un élu anonyme explique que bon ce Lumengo-là ne pèse peut-être pas très lourd, ni politiquement ni intellectuellement, mais qu’il n’est pas le seul. D’où «la cinquantaine» de petits camarades dénoncés «qui ne sont pas élus pour leurs compétences ou leurs convictions, participent peu, et sont juste là pour voter avec le groupe».

Ouais. Sauf que la prestation disons atypique de Lumengo serait probablement passée inaperçue s’il n’était pas Noir. Oublierait-on que parmi les droits implicites des minorités, qu’elles soient religieuses, sexuelles ou ethniques, figurent aussi celui d’être mauvais comme un cochon? Ce serait même un pas décisif vers la non discrimination, si l’on admet que la médiocrité, en politique du moins, reste la caractéristique la mieux partagée du monde.