Moscou annonce pour décembre des manoeuvres navales conjointes dans les Caraïbes avec le Venezuela. Cela promet de belles polémiques.
Branle-bas de combat antiyankee ces jours derniers en Amérique latine. Le président bolivien Evo Morales, soumis à une violente pression (16 morts dans diverses manifs) de la part de ses riches provinces potentiellement sécessionnistes, rompait avec fracas ses relations diplomatiques avec Washington et expulsait l’ambassadeur étasunien.
Dans la foulée, le Venezuela, le Honduras et le Nicaragua gelaient eux aussi leurs relations avec les Etats-Unis. Chavez cherchait de surcroît à impressionner les foules en annonçant que deux bombardiers russes avaient atterri au Venezuela pour participer à des manœuvres militaires.
Curieusement, on parla peu ou pas du tout chez nous d’informations tombées quelques jours plus tôt. En effet, dimanche 7 et lundi 8 septembre, deux dépêches annonçaient la tenue de manœuvres conjointes en décembre prochain des marines de guerre vénézuéliennes et russes dans la mer des Caraïbes. Les avions et navires russes sont attendus fin novembre au large du Venezuela. Lisant la nouvelle, je m’attendais à de grands titres pour le lendemain. Rien.
Le Monde se contenta de résumer la dépêche en une quinzaine de lignes en pied de la page de son édition du 10 septembre. Et ce après avoir consacré sa une aux «embarras de l’Europe élargie face à son voisin russe» et toute une page à la Géorgie.
Le New York Times donnait la nouvelle lundi déjà: quelques lignes en page 10 de son édition new-yorkaise. En précisant que si le pouvoir de Moscou développait ses relations avec Caracas, il revivifiait aussi les quelques vestiges de sa défunte amitié avec Cuba, grand ami du Venezuela.
Pourtant, la nouvelle transmise par l’AFP est de taille: «La Russie est allée un pas plus loin dans sa volonté manifeste de contester l’ «hégémonie» américaine en annonçant lundi qu’elle allait envoyer des avions de lutte anti-sous-marine au Venezuela, pays du président Hugo Chavez, bête noire de Washington. L’envoi également dans un port vénézuélien du croiseur à propulsion nucléaire Pierre le Grand (porteur de missiles à double capacité conventionnelle et nucléaire) et de l’amiral Tchabanenko, un bâtiment de lutte anti-sous-marine, est d’abord vu par les analystes comme la réponse du berger à la bergère.»
Soit en clair à la présence de navires américains dans les eaux géorgiennes de la mer Noire.
Que voilà des bergers fort peu pacifiques! Cette irruption russe dans les eaux américaines va, si elle se confirme, provoquer un sonore tohu-bohu au cours des prochains mois. La dernière fois que les Russes se sont aventurés militairement aussi près des Etats-Unis remonte à la fameuse crise déclenchée par l’installation de missiles et l’envoi de troupes par Khrouchtchev à Cuba en 1962. On avait alors frôlé la guerre nucléaire.
Nous n’en sommes pas là. Mais la tension pourrait monter de quelques crans si les chancelleries concernées (surtout à Washington et en Europe occidentale) ne définissent pas rapidement une ferme ligne de conduite face à la montée en puissance des duettistes Poutine-Medvedev. Or, en raison de la campagne électorale, les Etats-Unis sont momentanément immobilisés, même si, en lançant une telle provocation, Moscou semble plutôt vouloir alimenter le fonds de commerce belliqueux du candidat Mc Cain.
Les politiciens qui jouent aux hommes forts et intransigeants comme les dirigeants russes préfèrent avoir en face d’eux des hommes aux opinions simples et tranchées. Les rondeurs conciliatrices d’un Obama font peur: entraîné dans un dialogue et une négociation de longue haleine, Poutine craint de se faire emberlificoter. La méthode qui lui convient dans ses rapports avec ses homologues, il vient de la symboliser en descendant un magnifique tigre de Sibérie devant les caméras de télévision.
Cela posé, il faudra bien que ces messieurs discutent. La mise ukrainienne est trop importante, les dirigeants ukrainiens trop agités, pour que Russes et Américains se contentent d’escarmouches dans les eaux géorgiennes ou vénézuéliennes.
L’Union européenne, sous l’impulsion d’un Sarkozy avide de lauriers internationaux, pose actuellement des jalons intéressants en dessinant des accords d’association avec les Etats compris entre les frontières de la Fédération russe et celles de l’UE. Mais que fera demain son successeur, le très eurosceptique Václav Klaus, président de la République tchèque ?
Reste bien sûr en suspens la question de l’intégration de l’Ukraine et de la Géorgie à l’OTAN, question appelée à être discutée lors du prochain sommet de l’organisation en décembre. Juste quand les Russes manœuvreront dans les Caraïbes.