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Une Suisse à voile et à vapeur

Le port du voile islamique n’est pas un signe décisif d’indignité nationale, c’est le Tribunal fédéral qui le dit. La question en revanche reste ouverte pour les parachutes dorés des collaborateurs de Blocher qui se paient sur la bête confédérale.

Il est donc possible d’être suisse et même suissesse et de porter le voile. Comme il est possible, on veut le croire, de coiffer le passe-montagne, le béret basque, le bonnet à grelot, le chapeau tyrolien, le melon et les bottes de cuir, la kippa, la cagoule, le turban, ou même d’aller nue tête, sans mettre en danger la patrie ni se muer en traître indigne de la croix blanche et des droits et devoirs afférents.

Le Tribunal fédéral a tranché et donné tort à deux décisions communales argoviennes, Buchs et Birr, de ne pas octroyer la nationalité à une femme turque au prétexte du voile et à un Bosniaque, pénalisé parce que sa femme portait le fatal foulard. En gros, le TF explique que le port du voile seul ne suffit pas à décider du degré de non-intégration d’une personne. Il faut d’autres éléments de preuve, notamment les connaissances linguistiques.

Ce jugement de bon sens pourrait peser sur la votation qui nous attend, en juin prochain: l’initiative UDC réclamant, pour les communes qui le souhaitent, le retour aux naturalisations décidées par le peuple. En signifiant que refuser comme accepter une naturalisation, cela s’argumentait, se documentait, les juges ont mis le doigt sur le point faible de ce fantasme d’une sagesse populaire donc infaillible, distribuant les bons et les mauvais points: la naturalisation dans les urnes n’exige aucune espèce de considération objective, c’est oui ou non, blanc ou noir – blanc de préférence — suivant l’humeur du votant et du moment et à la tête du client. Une sale bobine, une vilaine couleur de cheveux, un teint de peau désagréable, un voile de travers, un nez trop long, et hop à la trappe.

A l’inverse, l’absence de tares extérieures et anecdotiques ne constitue en rien une preuve de bonne et franche citoyenneté; l’histoire édifiante d’un citoyen particulièrement bien intégré à Fribourg, au point d’avoir acquis plusieurs établissements publics; un ressortissant turc, déchu de sa nationalité d’origine et qui avait été accueilli à bras ouverts en Suisse, comme apatride, en 1981 déjà. Avant de se livrer, à grande échelle, au trafic d’armes et d’héroïne.

Après 14 ans de réclusion passée dans une geôle allemande, dans les années 90, le revoici paisiblement installé dans son canton de Fribourg. Que l’on sache, Fikret Sporel, c’est son nom, ne porte pas le voile et maîtrise sûrement parfaitement au moins une langue nationale. Il est juste mafieux, et passe aujourd’hui à nouveau devant la justice fribourgeoise pour des broutilles comme viol, intimidation et menace de mort.

De quoi donner certes des vapeurs aux tenants des expulsions de criminels étrangers — sauf que pour expulser un apatride, il faut se lever tôt — mais démontrer que le droit de résidence ou la nationalité sont des affaires trop complexes pour être décrétée en un coup de stylo, dans le catimini rageur de l’isoloir.

Au chapitre des comportements suspects et des menées anti patriotiques, signalons d’autres vapeurs: celles de la nouvelle conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf découvrant les parachutes dorés des collaborateurs de son prédécesseur, Christoph Blocher. Walter Eberle et Yves Bichsel, respectivement ancien secrétaire général et secrétaire adjoint du département fédéral de justice et police, grâce à des contrats mitonnés sur mesure par Blocher lui-même, encaissent rubis sur l’ongle, en liquide, un pactole d’heures supplémentaires, vacances non payés, congés sabbatiques etc. Des contrats guère conciliables, selon la sourcilleuse Eveline, avec l’ordonnance sur le personnel de la Confédération.

Mais qu’importe, l’exemple vient de haut: questionné par un journal alémanique s’il entendait toucher sa pension d’ex-conseiller fédéral, le milliardaire Blocher rétorque: «Si je ne l’encaisse pas, Berne dépensera ce fric pour des choses plus stupides.» Comme quoi on peut être pontes UDC, notables sans reproche, bon chrétiens, parler plusieurs langues, une foultitude de dialectes indigènes et mépriser néanmoins ouvertement la mère Confédération.