Dans le nord de l’Europe, plusieurs villes ont décidé d’abolir panneaux et feux de signalisation. Avec à la clé une surprenante diminution des accidents enregistrés. La Suisse suit la tendance.
L’idée fait lentement son chemin: responsabiliser les usagers de la route plutôt que de leur imposer des règles en surabondance. Aux Pays-Bas, en Allemagne, au Danemark, en Belgique ou en Angleterre, un nombre croissant de villes appliquent cette doctrine.
Les résultats sont probants: depuis que la petite commune néerlandaise de Drachten, l’une des premières à avoir osé l’expérience, a supprimé feux et panneaux à certains carrefours, le nombre d’accidents y a considérablement diminué et le temps nécessaire pour traverser les principales artères a été réduit de moitié.
Récemment convertie, la bourgade de Bohmte, en Basse-Saxe, devrait prochainement rejoindre le club selon l’hebdomadaire allemand Der Spiegel. Seules subsisteront des délimitations en couleur au sol pour distinguer chaussées, pistes cyclables et trottoirs.
Ces réformes ne concernent pas uniquement les petites communes. Les métropoles s’y mettent aussi. A Londres, la signalisation a été réduite et les barrières de sécurité supprimées sur diverses rues principales avec pour conséquence, expliquent les autorités locales, une circulation simplifiée et une sécurité renforcée.
Les Etats-Unis ne sont pas en reste: en Floride, à West Palm Beach, une expérience de suppression de signaux, rapprochant piétons et voitures, a permis d’après le mensuel américain Wired de ralentir le trafic, de diminuer les accidents et de raccourcir la durée des trajets.
Inspirées directement du concept d’«espace partagé» ou de «route nue», mis au point par l’ingénieur néerlandais Hans Monderman et encouragées par le programme du Fonds européen de développement régional Shared space, ces diverses initiatives visent à fluidifier le trafic, mais aussi à instaurer un climat courtois entre les usagers.
Le postulat est simple: lorsque les automobilistes ne savent pas exactement qui dispose de la priorité, ils recherchent davantage le contact visuel avec les autres usagers, réduisent pour ce faire automatiquement leur vitesse et font preuve de plus d’égards, notamment vis-à-vis des deux roues et des piétons.
Sans aller jusqu’à éliminer toutes ses signalisations, la Suisse suit la même évolution. «Après une nette augmentation depuis les années 60, nous assistons aujourd’hui à une tendance générale à la limitation du nombre de panneaux, indique Charles-Henri Grept, inspecteur de la signalisation à l’Etat de Vaud. Les autorités se sont en effet rendu compte qu’à trop les bombarder d’indications, les automobilistes prêtaient moins attention à leur environnement et aux autres usagers de la route.»
De plus, selon diverses études, un conducteur moyen zappe 70% des signaux auxquels il est confronté. «Nous comptons certes un peu trop d’indications sur les routes en Suisse, remarque Daniel Mühlemann, ingénieur de la circulation au TCS. Toutefois, supprimer toutes les signalisations peut s’avérer dangereux, notamment pour les personnes qui ne connaissent pas les lieux, pour les handicapés et les aveugles, mais aussi pour les enfants qui s’habituent à ce système et peuvent le reproduire là où il n’est pas en usage.»
Raison pour laquelle le TCS se montre favorable à une nette séparation des flux voitures/piétons, mais aussi au développement de giratoires, de zones limitées à 30 km/h et de zones de rencontre.
S’en remettre uniquement au bon sens de la population serait-il utopique? «Il est clair qu’en ajoutant des feux et des indications on limite la capacité de la circulation, souligne Philippe Blanc, ingénieur civil EPFL spécialisé en transports. Toutefois, en cas de circulation dense, on est obligé de guider l’usager. C’est mathématique: on ne peut cohabiter qu’en nombre raisonnable.»
D’où la notion de réseau hiérarchisé: dans une même ville les signalisations peuvent subsister au sein des artères principales, mais être supprimées dans les quartiers résidentiels. «Là où la vitesse et la densité de la circulation le permettent, il est tout à fait bénéfique de partager l’espace, voire de supprimer les trottoirs, poursuit Philippe Blanc. C’est d’ailleurs ce qui se fait depuis 2005 au sein des zones de rencontre dans de nombreuses communes suisses.»
L’ingénieur souligne toutefois que si le concept d’espace ouvert s’applique avec succès parmi les automobilistes des pays nordiques ou de Suisse, il est difficilement transposable dans les pays latins ou de l’Est, «moins disciplinés et respectueux des piétons».
Une différence de culture qui se retrouve d’ailleurs dans les chiffres de mortalité sur les routes: alors que le taux de tués pour 100’000 habitants s’élevait il y a deux ans en Suisse à 5,5, ils se montait à 8,8 en France, 9,7 en Italie, 10,2 en Espagne, 14,3 en Pologne et 15 en Grèce.