Dans un pays que l’état d’urgence a mis sens dessus dessous, la population est chauffée à blanc, prête à s’insurger. Eclairage historique.
Imbroglio total au Pakistan où le général-président Perwez Musharraf a fait le 8 novembre une concession aux Américains en annonçant la tenue d’élections législatives avant le 15 février 2008.
Mais cette date est bien lointaine dans un pays que la proclamation de l’état d’urgence a mis sens dessus dessous. Et, surtout, Musharraf n’a pas obéi aux injonctions pressantes de Washington qui voudrait le voir quitter la tête de l’armée pour se cantonner à son seul mandat civil.
A-t-on jamais vu un général renoncer à sa casquette et à son bâton de commandement en pleine crise politique, juste au moment où les oppositions conjuguées de tous ses adversaires, des juges de la Cour suprême aux simples citoyens, veulent le chasser du pouvoir?
Depuis la création du Pakistan en 1947, l’armée est le pilier central du système dans un Etat fragile, aux fragmentations ethniques, claniques et religieuses multiples. Les années de dictature militaire ne se comptent plus, ni les coups d’Etat.
Plantons le décor par un bref rappel historique. En 1977 déjà, c’était un général, Zia Ul Haq, qui renversait le gouvernement de Zulfikar Ali Bhutto, fondateur du Parti populaire du Pakistan (PPP) et père de Benazir Bhutto. A la stupeur du monde entier, le général le fit pendre haut et court.
Onze ans plus tard, en 1988, c’est Zia Ul Haq qui trouve la mort dans un mystérieux accident d’avion dont la principale conséquence est l’accession au pouvoir d’une jeune femme de 35 ans, Benazir Bhutto.
A côté du Parti populaire des Bhutto, l’autre grande force politique civile du pays est la Ligue musulmane de Nawaz Sharif qui, en 1990, obtient le limogeage pour corruption d’une Benazir affaiblie par l’affairisme de son mari. Pendant les année 1990, Sharif et Bhutto — tous deux aussi corrompus l’un que l’autre — vont alterner au pouvoir symbolisant le difficile équilibre entre forces laïques et islamiques. En 1999, suite à une guerre malheureuse contre l’Inde entreprise sur les hauteurs du Cachemire, Nawaz Sharif est renversé par le général Musharraf, puis jugé et condamné à la prison à vie.
Cette condamnation est ensuite transformée en un bannissement de dix ans, mesure levée cet été par la Cour suprême pakistanaise au grand dam de Musharraf. A l’annonce des joutes électorales prévues en janvier prochain, Sharif esquisse début septembre une tentative de retour qui tourne court: la police lui interdit de descendre de son avion. Curieusement, depuis, on n’entend plus parler de lui.
Pourquoi? Tout simplement parce que le scénario arrangé par les Etats-Unis qui misent sur Benazir Bhutto n’avait rien prévu pour lui. Ce qui ne signifie pas que l’on en entendra pas parler au cours des prochaines semaines.
Les Américains, en effet, pensaient pouvoir favoriser la restitution du pouvoir aux civils en portant Musharraf (mais sans sa casquette de général) à la présidence du pays et Benazir à la tête du gouvernement. Elle aurait pour cela donné divers gages qui, en ces temps de croisade antiislamiste, ont leur poids à Washington. A commencer par sa condamnation de l’islamisme radical qui l’a amenée à soutenir l’assaut contre la Mosquée rouge. Elle serait en outre prête à autoriser l’armée américaine à poursuivre Ben Laden sur sol pakistanais.
Ce plan (très relativement) bien huilé aurait pu fonctionner à condition que la Cour suprême accepte de donner son aval à l’élection de Musharraf à la présidence. Ce qu’elle n’a pas fait.
Du coup, tout est à reprendre à zéro, dans les pires conditions, avec une population chauffée à blanc, prête à s’insurger violemment. Et des militants islamistes qui attendent patiemment leur heure.