LATITUDES

Faire l’armée pour arrêter de fumer

Longtemps accusé d’encourager la cigarette, le service militaire entend se muer en cure de désintox. Le projet «Rauchstopp» lancé en mai s’avère très prometteur. Il se poursuivra, et déjà, des armées étrangères s’y intéressent.

«Pas de doute, c’est à la caserne de Colombier que je suis devenu fumeur. Avant, pendant mon apprentissage, je n’avais pas de fric et pas trop de temps. Je fumais bien avec les copains une cigarette ou l’autre. A l’école de recrues, pendant les pauses, que faire sinon tirer une clope comme tout le monde? A l’époque, le paquet était moins cher. Depuis, j’en ai fait partir un par jour en fumée.»

Voilà le témoignage de Jean-Claude, un quadragénaire demeuré fumeur malgré de nombreuses tentatives pour arrêter.

Son beau frère, Didier, confirme que pour la génération des baby boomers à laquelle il appartient, l’école de recrues a souvent constitué un tremplin pour des fumeurs jusque là occasionnels. Lui a pu résister, motivé qu’il était par son appartenance à une équipe de hockey.

Les trois fils de Jean-Claude et Didier, âgés de 16, 17 et 18 ans, n’ont pas attendu d’intégrer l’armée pour devenir fumeurs. Ils témoigneront peut-être un jour que c’est lors de leur école de recrues qu’ils sont parvenus à arrêter la cigarette. C’est en effet l’objectif visé par le projet pilote «Rauchstopp» (pas encore traduit en français) de l’armée suisse.

Lancé en mai dernier à l’école de recrues d’Aarau, le programme de sevrage au tabac baptisé «Das Feuer einstellen» (éteindre le feu) se révèle très prometteur. Un premier bilan montre que sur les 13 participants à l’étude qui a duré 18 semaines, tous ont diminué drastiquement leur consommation, certains sont même parvenus à y mettre fin.

«Ces résultats sont remarquables», estime Christoph Karli, chef du Service médico-militaire. «Le projet a été bien accepté et sera mis à l’œuvre dès la mi-août dans les écoles de recrues de Frauenfeld et d’Aarau, avec chaque fois 50 volontaires, ce qui représentera un dixième des recrues. Donc un bon échantillon.»

Une étude menée par l’Université de Bâle fait état de 48% de jeunes hommes qui fument en arrivant à l’école de recrues. Trop tard pour de la prévention! La moitié d’entre eux seraient intéressés par la mise sur pied d’un programme de sevrage mené par l’armée. «Lorsqu’ils apprennent que leur forte consommation de tabac peut les rendre impuissants, ils deviennent réceptifs et motivés à arrêter», a pu constater l’initiateur du projet.

Les volontaires sont suivis individuellement. Patches, sprays ou pilules sont proposés en fonction de leur profil psychologique. Deux à trois visites médicales hebdomadaires sont programmées. Ce qui poserait problème dans la vie civile n’en pose pas dans le contexte militaire et facilite un suivi serré indispensable. S’ajoute à ce facteur un autre aspect favorable: l’effet de groupe. Les 13 recrues se sont motivées au quotidien.

En 2001, l’armée britannique avait bien supprimé la traditionnelle cartouche de cigarettes jointe au paquetage des recrues et glissé des patches à la nicotine. Une mesure pas suffisamment dissuasive pour enregistrer des résultats tangibles.

Les armes utilisées par l’armée suisse dans sa guerre contre la fumée suscite l’intérêt des armées étrangères qui pourraient bien s’en inspirer.