LATITUDES

La TSR snobe Daniel Schneidermann

Le célèbre décrypteur des médias ne trouvera pas exil en Suisse. Explications.

Daniel Schneidermann sur la TSR? Les fans romands d’Arrêt sur images en rêvent. L’idée a pris corps il y a trois semaines, quand le célèbre journaliste français, privé d’antenne depuis la mi-juin, puis congédié par son ancien employeur France 5, s’était laissé aller à d’opportunes confidences dans les colonnes du quotidien La Liberté.

Le trublion du PAF avait confié sans détour qu’il lorgnait vers la chaîne romande pour qu’elle accueille son émission de décryptage audiovisuel.
«J’espère que je pourrai produire Arrêt sur images en Suisse, avait lancé Schneidermann. Ça serait un enrichissement. Cela nous permettrait de nous renouveler.»

Paroles en l’air? Pas du tout. L’animateur parisien a bel et bien fait acte de candidature début juillet auprès de la TSR, proposant un concept d’émission au directeur Gilles Marchand. Peine perdue, puisque seulement trois jours plus tard, le Français se voyait adressé une réponse négative.

«Nous avons estimé que le projet de Daniel Schneidermann était trop franco-français», déclare Gilles Marchand — alors même que le principal intéressé disait vouloir «donner une dimension internationale» à son émission.

«De plus, les coûts occasionnés aurait rendu l’opération délicate, ajoute Gilles Marchand. Or, la TSR fixe actuellement ses priorités budgétaires sur les émissions diffusées en prime time.» En un week-end, l’espoir suisse de Daniel Schneidermann a donc été balayé.

Le rédacteur en chef des magazines de la TSR, Daniel Monnat, ne semble même pas avoir été consulté: «On est dans l’abstraction totale, dit-il. Et de toute façon, je n’ai pas les moyens financiers d’accueillir un nouveau magazine.» Mais, face à une telle opportunité, la chaîne ne pouvait-elle pas lui octroyer une rallonge? «Je reconnais évidemment la qualité de l’émission Arrêt sur images, mais à la TSR, nous disposons également d’excellents journalistes et de très bons programmes d’information, affirme-t-il. Nous savons aussi prendre du recul.»

Manque de vista? La question se pose, tant il apparaît que la notoriété et la qualité d’une telle émission profiterait au rayonnement international de la TSR. Du reste, ses journalistes abondent volontiers dans ce sens, à l’instar de Michel Zendali, animateur de l’émission Infrarouge: «J’étais un fidèle d’Arrêt sur images et j’aurais trouvé intéressant que Daniel Schneidermann fasse évoluer son concept chez nous.»

Ancien directeur de l’information et des magazines de la TSR, Claude Torracinta souligne la nécessité pour le service public de se doter d’une telle émission consacrée au décryptage des médias : «Si j’étais directeur de l’information, je prendrai en tout cas le temps de discuter avec Daniel Schneidermann, pour voir si la possibilité existe de collaborer.»

Mais du côté de la TSR, le dossier semble définitivement clos. Sur son blog, le journaliste français s’étonne d’ailleurs de la rapidité de ses dirigeants: «D’où vient donc cette réputation de lenteur des Suisses?», se demande-t-il, ironique. «Je ne vais pas vous faire la liste des portes fermées, écrit-il. C’est déprimant.»

L’avenir télévisuel du journaliste français paraît donc compromis. «J’appréciais beaucoup cette émission, elle relevait d’un exercice nécessaire d’hygiène médiatique, dit Jacques Pilet, membre de la direction de Ringier. Un tel programme aurait sa place en Suisse romande, avec ou sans Daniel Schneidermann, Mais la TSR souffre d’une certaine inertie, et je ne sais pas si la volonté existe d’aménager ce type de débats.»

L’écrivain et chroniqueur Christophe Gallaz se montre beaucoup plus acide envers la chaîne de service public, incapable, selon lui, de saisir la balle au bond. «Je ne vois que de mauvaises raisons dans ce refus d’accueillir Daniel Schneiderman. C’est intellectuellement indéfendable, assène-t-il. Il règne en Suisse romande une inculture de l’image qu’une telle émission contribuerait à dissiper. En outre, si elle tentait l’aventure, la TSR polariserait l’intérêt de milliers de téléspectateurs français, notamment via internet. Ses décideurs font un mauvais calcul, éditorialement et médiatiquement.»

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Une version de cet article a été publiée dans L’Hebdo du 19 juillet 2007.