KAPITAL

Le succès de la radio anglophone à Genève

La station World Radio Geneva a vu son audience bondir de 32% l’an dernier. Sa directrice Lucy Walker mise sur l’information de service pour séduire les expatriés. Mais pas seulement.

«Notre chaîne est destinée aux expatriés, mais près de la moitié de notre audience se constitue de Suisses.» Ce paradoxe, que vérifient la plupart des médias anglophones dans des pays qui ne le sont pas, n’a pas échappé à Lucy Walker.

Depuis son entrée en fonction l’été dernier, la nouvelle directrice de World Radio Geneva ne cesse de découvrir les singularités de cette chaîne qui s’adresse à une population par définition volatile: «Chaque année, environ 20% de nos auditeurs quittent la zone, et nous devons donc constamment séduire de nouveaux arrivants pour maintenir l’audience…»

Grâce au bouche à oreille, et une publicité ciblée auprès des multinationales de la région («notre promotion est distribuée dans leur package de bienvenue»), l’audience se maintient bien. Mieux, elle progresse: en 2005, la chaîne a bluffé tout le secteur en obtenant une croissance de 32% de son audimat, à 21’000 auditeurs quotidiens. Une progression spectaculaire qui lui a valu le titre convoité de «Radio suisse de l’année 2005», décerné par l’ensemble de l’industrie.

L’audience réelle de la chaîne va même bien au-delà de ce chiffre puisque le système de mesure Radiocontrol ne comptabilise que les auditeurs suisses. Se basant sur un sondage, WRG estime son audience régulière à 65’000 auditeurs, de part et d’autres de la frontière puisque l’émetteur couvre aussi la France voisine.

Avec ses fonctionnaires internationaux et ses cadres de multinationales aux portefeuilles garnis, la clientèle anglophone intéresse logiquement les annonceurs.

Avantage supplémentaire: cet auditoire est peu touché par d’autres médias locaux, à part, dans une moindre mesure, la chaîne anglophone Radio 74 basée à Saint-Julien, en France. Les expats constituent une cible de tout premier choix: suroccupés, ils comparent moins les prix, achètent vite et voyagent énormément.

WRG attire donc des annonceurs comme easyJet ou LeShop, mais aussi plus locaux, comme des garages, des écoles, des entreprises de déménagement, des boutiques ou des cliniques. «Nous proposons des formules de sponsoring annuels qui permettent de faire connaître des petits commerces auprès de notre audience. Ainsi, le magasin «J’adore my dog», qui vend des accessoires de luxe pour chien, est devenu un classique pour nos auditeurs…»

Les annonceurs ne couvrent cependant que les 2/3 du budget annuel de 2 millions de francs de la chaîne. Les pertes sont épongées chaque année par les actionnaires — un mélange unique public/privé hérité du passé (lire l’encadré) — et les subventions.

«En fait, je vois WRG comme une chaîne qui remplit une mission de service public, mais qui se trouve être financée par de la publicité, résume, en zigzaguant, Lucy Walker. Nous ne pouvons pas fonctionner uniquement comme vecteur pour la pub. D’ailleurs, nous en limitons la quantité à 6 minutes par heure, sinon nous ne pourrions pas retransmettre la BBC.»

Les flashes et les magazines d’info de la BBC, tout comme certains programmes de variétés importés, se mélangent à la programmation maison. WRG emploie 17 personnes: 3 journalistes, 4 présentateurs, 8 vendeurs (publicité), et 2 techniciens.

Outre le journal du matin, la chaîne propose chaque heure un flash d’info locale. Les Genevois se délectent ainsi à l’écoute des politiciens et autres acteurs de la vie publique défendant leur cause dans un anglais fleuri. «Ce n’est pas évident de les convaincre, sourit la directrice. Et j’aimerais qu’ils s’expriment davantage sur nos ondes. Cela évoluera peut-être quand les étrangers pourront voter car les politiques devront séduire aussi les électeurs anglophones.»

En plus de l’info locale, WRG met l’accent sur les informations de service destinées aux expatriés. «Nous avons notamment lancé «Survival Guide», une émission qui répond aux questions concrètes des nouveaux arrivés.»

La chaîne mise aussi sur la musique. «Beaucoup d’auditeurs suisses nous choisissent pour notre programmation anglo-saxonne, d’avant-garde ou rétro selon les heures.» Pour se faire connaître, WRG utilise une déclinaison sur papier: son magazine On Air encarté deux fois par année dans la Tribune de Genève. Il ne représente pas une source de revenus importante mais permet à la chaîne de proposer des publicités papier+radio qui rend son offre plus attractive.

Lucy Walker, 40 ans, travaillait à Londres pour la BBC avant d’arriver à Genève en 2005. «Sur les ondes radio internationales, j’animais une émission destinée aux Etats-Unis et une pour l’Europe. Je touchais des millions d’auditeurs, mais de manière très impersonnelle, sans savoir qui et où. Exactement l’inverse de la proximité de WRG. C’est ce qui m’a intéressé dans ce poste.»

Lucy avait quitté une première fois sa Grande Bretagne d’origine en 1986 pour s’installer à Bruxelles, où elle a notamment travaillé comme correspondante freelance pour le Herald Tribune, puis en fixe pour The European. «En arrivant à Genève, je ne connaissais rien ni personne: j’ai été confrontée aux mêmes problèmes que les auditeurs de la chaîne.» La journaliste semble se sentir à l’aise en Suisse désormais. Au point d’y rester longtemps? «Quand je suis arrivée à Bruxelles, j’étais venue pour 6 mois et je suis restée 7 ans. Alors je ne m’aventure plus à ce genre de pronostic…»

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Un statut hybride

WRG démarre sur les ondes en 1996 après plusieurs mois de négociations, des rebonds tumultueux (licenciement du directeur avant le démarrage) et la menace de retrait de sa licence d’exploitation par l’Office fédéral de la communication. L’actionnariat se partage alors entre la SSR, Reuters et le Journal de Genève.

Voyant les comptes systématiquement dans le rouge, Reuters n’a cessé de vouloir se retirer de l’entreprise. En 2000, c’est le soulagement pour l’agence britannique lorsque la BBC lui rachète l’essentiel de ses parts. Reuters ne possède aujourd’hui plus qu’une participation symbolique regroupée avec celle du journal Le Temps (héritée de son intégration du Journal de Genève).

Actuellement, WRG est détenue à 40% par la BBC, 40% par la Radio suisse romande, et 20% par un groupe d’investisseurs mené par Le Temps et Reuters. La Ville de Genève, le canton et la Confédération contribuent aussi au financement de la chaîne sous la forme de subventions.

Le statut hybride public/privé de WRG suscite la jalousie, et parfois la colère, de ses concurrents privés. La licence particulière, octroyée au lancement, donne en effet le droit à WRG de commercialiser des espaces publicitaires, malgré un financement majoritairement public qui devrait le lui interdire.

Ce privilège semble aujourd’hui difficile à justifier, surtout depuis que la BBC, très stricte en la matière en Grande-Bretagne, finance la chaîne. La licence, qui expire en 2008, risque donc fort de ne pas être reconduite sous cette forme.