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Le beau film de George Clooney, et son importance politique

«Good Night, and Good Luck» met en scène de manière impeccable les délires du mccarthysme. Impossible de le voir sans songer aux éructations de Dick Cheney et aux pitreries de «W» Bush.

Les temps sont difficiles, personne ne l’ignore, même si les bénéfices de certaines entreprises prennent des proportions hallucinantes comme nous venons de le constater avec UBS et Credit Suisse.

Les temps sont d’autant plus difficiles que le capital financier — celui qui provoque en un bras de fer inégal les travailleurs de la Boillat — dicte ses règles. Comment donc, vous ne faites que six milliards de bénef ? Insuffisant! Rationalisez mieux! Et l’action du CS de plonger de 7.8%.

Ces extrêmes sont typiques des périodes de crise politique sur fond de boom économique. Ils marquèrent aussi le début des années cinquante comme vient nous le rappeler le beau film que George Clooney consacre à l’époque McCarthy et à la chasse aux communistes qui sévissait alors aux Etats-Unis.

«Good Night, and good Luck» réunit tous les attributs du bon film de vulgarisation historique. Il recrée visuellement (et musicalement grâce à la douce et merveilleuse Dianne Reeves) le climat de l’époque. Apparemment sans anachronismes criants.

La mise en scène du maccarthysme est impeccable. Ce fut en effet un feu de paille meurtrier et destructeur qui ne dura guère que quatre ans, de février 1950 lorsque, au fil de quelques discours enflammés, le sénateur du Wisconsin accusa le département d’Etat d’abriter une fois 205, puis 81, puis 57, enfin «beaucoup» de communistes. Son action accompagna et décupla les angoisses de l’Américain moyen aux prises avec la victoire des communistes en Europe de l’Est et celle de Mao en Chine. Très tendance, elle précéda de quelques semaines le début de la guerre de Corée, en juin 1950.

Le sénateur McCarthy prit la tête d’une sous-commission sénatoriale chargée d’enquêter sur les activités antiaméricaines. Complètement exalté, portant des accusations à tort et à travers sans se soucier de présenter la moindre preuve, il intensifia frénétiquement la campagne anticommuniste lancée en 1947 par le président Truman, une campagne qui allait conduire à la mise sous enquête de plus de six millions de personnes!

Mais Staline mourut en mars 1953. Quelques mois plus tard, un armistice était signé en Corée (la paix attend depuis 53 ans…), la tension retomba et McCarthy se cassa effectivement (comme dans le film) les dents sur des accusations inconsidérées portées contre l’armée.

Condamné par le Sénat fin 1954, il sombra dans l’alcoolisme et mourut trois ans plus tard.

Cette chute ne gêna en rien la carrière de certains de ses épigones, tel Nixon, le futur président.

La thèse de Clooney est que les médias de masse naissants auraient joué un rôle déterminant dans la chute du sinistre sénateur. Je n’en sais rien, mais il me semble que pour 1954, c’est un peu tôt. Cela n’enlève rien à l’importance immédiatement politique du film: personne ne peut le voir aujourd’hui sans songer aux éructations de Dick Cheney, aux pitreries de «W» Bush, aux conséquences du Patriot Act et, hélas, aux photos images de Guantanamo et Abou Ghraib. Le vrai message est qu’aujourd’hui comme alors, la démocratie américaine patine et qu’il est temps de lutter pour les droits de l’homme.

George Clooney met en scène des journalistes, privilégie le quatrième pouvoir. Le maccarthysme fut effectivement sans pitié pour les intellectuels, les scientifiques, les chercheurs et les artistes. De voir, comme dans le film, des enfants sommés de dénoncer leurs parents donne des frissons dans le dos. Mais il faut noter que les dérapages de la démocratie étasunienne (et Dieu sait qu’ils furent nombreux!) n’ont, à l’exception du génocide des Indiens, jamais pris les proportions qu’ils eurent en Europe.

Cela dit, McCarthy fut stoppé moins de quatre ans après avoir commencé, alors que «W» Bush et ses acolytes sont déjà au pouvoir depuis cinq ans. Le salut viendra peut-être des prochaines élections intermédiaires en automne 2006, tant il semble impensable de devoir attendre encore trois ans.