Vous avez peut-être entr’aperçu quelques images de la tournée chilienne de Ségolène Royal, au côté de Michelle Bachelet. La comparaison entre ces deux femmes politiques était des plus instructives.
Ségolène Royal s’envole vers les sommets, c’est un fait. Il faut reconnaître que sur le plan médiatique (on disait naguère: sur le plan des apparences), cela ne manquerait pas d’allure. La dame, encore juvénile, est belle et photogénique sans faire ancien mannequin reconverti dans le business politique.
Portant bien une élégance de bon aloi, coulée dans le bronze du bcbg, le regard franc, direct et altier, elle inspire ce type de confiance qui, selon le proverbe, lui ferait donner le bon Dieu sans confession.
Si l’on suit Sartre, qui prétendait quelque part que l’on a la gueule qu’on mérite, il faut reconnaître qu’elle a mieux géré son passage à la maturité que son mari. Alors que ce dernier s’est, au fil des ans, construit un look de politicien genre IIIe République et France profonde, costume trois pièces et cassoulet, elle s’est hardiment tournée vers la modernité.
Elle assume sans complexe les attributs de la femme dans le vent (fitness et petites graines) ne craignant pas de faire peuple: un coup de rouge à l’occasion d’une campagne électorale au comptoir d’un bar-tabac devant une demi-douzaine de caméras, avant d’entraîner ces mêmes caméras dans son douillet chez soi pour y exhiber une progéniture conséquente.
Vous avez peut-être comme moi entr’aperçu quelques images de la tournée chilienne de la candidate à la candidature. Lors des conférences de presse communes, la comparaison entre ces deux femmes politiques était des plus instructives.
Touriste très intéressée, Ségolène ne cessait de répéter devant des micros et caméras à usage franco-français qu’elle ne dirait rien de sa candidature ni des sondages qui la portent parce qu’elle était là pour soutenir sa camarade Michelle.
Mais son visage — radieux, éclatant, illuminé d’un bonheur profond — démentait le propos, disant au contraire sa joie d’être assise en égale à côté d’une future présidente.
Sa complice de quelques jours souriait certes, mais gardait les traits tirés et le visage inquiet de quelqu’un qui sait que la vérité d’un jour n’est pas celle du lendemain. Elle en a fait la dure expérience quand, jeune étudiante en médecine, elle perdit son père, le général Bachelet, un proche de Salvador Allende, torturé à mort par les sbires de Pinochet.
Elle-même fut ensuite arrêtée et torturée avant d’être exilée en Australie, puis en Allemagne de l’Est.
Ainsi, au moment où Ségolène préparait sa carrière en fréquentant l’ENA, François Hollande et les socialistes parisiens, Michelle en bavait en RDA en pleurant la perte de son père et de la démocratie chilienne. (Cela dit, il est étonnant de voir que ces deux femmes ont non seulement le même âge à deux ans près, mais qu’elles sont toutes deux issues de familles de militaires!)
Le distance qui sépare ces deux socialistes n’est pas que celle qui conduit de Paris aux antipodes. C’est surtout celle de l’expérience de la vie. Ce qui pour l’une fut un vrai «struggle for life» n’est pour l’autre qu’un ambitieux plan de carrière. De l’ENA, Ségolène passe directement à la bureaucratie socialiste, puis à la bureaucratie ministérielle, puis aux mandats électifs et au conseil des ministres.
Elle n’a jamais dû gagner sa vie, elle a juste dû jouer des coudes pour se faire une place. Elle ne connaît pas le coût des choses, ni la valeur de l’argent, sauf s’il s’agit de le placer. En cela, elle me fait penser à une ex-bête politique de l’autre bord, Giscard d’Estaing.
A ses débuts, Giscard donnait lui aussi l’impression d’être juvénile et moderne, d’être dans le coup. Comme il arrivait après de Gaulle et Pompidou, ce ne fut pas très difficile. N’ayant pas, à part son libéralisme, de programme politique défini, il tenta de s’imposer sur les problèmes de société, l’avortement ou l’heure d’été. Et pour démontrer son profond respect envers la démocratie, il s’invita de temps à autre chez de simples citoyens, allant même jusqu’à jouer de l’accordéon devant les caméras.
Je vois bien Ségolène débarquer un de ces quatre chez des réfugiés et, après avoir enfilé des gants en caoutchouc, se mettre à laver la vaisselle pour le journal de 20 h. Sa tâche sera d’autant plus facile qu’elle arrive, mignonne et pétant de santé, après deux cadavres ambulants, Mitterrand et Chirac.
La course sera longue et ses concurrents ne lui feront pas cadeaux. Elle souffre pour le moment d’un handicap majeur: l’absence de soutien (ou de contrôle) d’un parti. La classe dirigeante socialiste française n’est pas plus favorable aux femmes qu’elle ne l’est à l’Europe ou au fédéralisme.
Même le mari de Ségolène, l’homme qui lui a fait quatre enfants, n’a pu s’empêcher de lâcher une obscénité machiste quand la belle commença à décoller dans les sondages.
Pour une femme décidée à tout, il y aurait évidemment la possibilité de créer ses propres réseaux de soutien, de lancer un mouvement qui la porterait vers une élection où elle aurait à coup sûr une chance tant l’envie de changement (mais de changement cosmétique, pas réformateur!) est fort dans la France d’aujourd’hui, qui est au moins aussi conservatrice que celle de Louis XVI.
Or, et c’est là tout le paradoxe, le fait qu’elle doive tout au parti socialiste et que son mari en soit le secrétaire général constitue un obstacle quasi infranchissable. A moins de tout bazarder, parti, mari, copains et camarades, pour entreprendre seule la longue marche qui de la Charente la conduirait royalement au cœur de l’Ile-de-France!