Les mauvaises habitudes ont la vie dure en Russie, Ukraine, Géorgie, Roumanie… On dirait qu’un vent froid se lève à l’Est. Analyse.
L’avoué-je? Je l’avoue. La déportation en Sibérie de Mikhaïl Khodorkovski, le jeune milliardaire condamné à huit ans de prison pour avoir osé se mêler de politique, m’a choqué. Comme me choque le fait qu’elle passe plutôt inaperçue sous nos latitudes, personne n’ayant apparemment envie de prendre vraiment conscience que la Russie est retombée entre les pattes d’un autocrate digne de n’importe quel tsar ou secrétaire général du parti.
Mais, dira-t-on, la Tchétchénie? les méfaits du FSB? la valse des oligarques? Tout cela n’était-il pas annonciateur d’un retour à des mœurs solidement incrustées dans une histoire de violence pluriséculaire? Oui, bien sûr. Mais il est des symboles plus forts que d’autres. La relégation des opposants en Sibérie nous renvoie aux pires moments de l’histoire. Et annonce des lendemains fort peu souriants.
Tout se passe en réalité comme si nous entrions dans une nouvelle phase de l’évolution du post-communisme. Mettons qu’après la transition, il s’agisse de consolider une première phase de maintien au pouvoir. Je prends des pincettes, je mets des si partout, car le sujet est fluctuant, difficile à saisir.
Les paramètres à prendre en compte sont nombreux, ils vont des pesanteurs historiques à l’évolution inéluctable d’une société, de la mondialisation victorieuse à la renaissance de certaines caractéristiques nationales, du retour en force du religieux à une laïcisation générale imposée par le modèle culturel américain…En somme, un amas de contradictions tirant les sociétés à hue et à dia.
La Russie d’aujourd’hui ne peut pas se résumer à Poutine, à ses magouilles et à ses méfaits. C’est un peuple immense qui est en train d’apprivoiser une nouvelle modernité et qui va ainsi façonner les générations futures. A coups d’espoirs et de déceptions. Par des pas en avant, d’autres à côté, quelques-uns en arrière. Mais la Russie n’est pas seule en cause. Il est peut-être plus facile de saisir la réalité dans des Etats plus petits.
Ainsi l’Ukraine, après les jours de fête de décembre 2004, connaît des moments difficiles. Les forces victorieuses de la révolution orange se sont divisées, mais dans un camp comme dans l’autre, on s’est rendu compte que sans la Russie dont elle n’est historiquement que le bas-côté, l’Ukraine n’est rien. Une telle constatation incite évidemment à la prudence et redimensionne les ambitions nationales.
En Géorgie, dans cette Géorgie que les télévisions nous montraient l’an dernier en pleine révolution, le réalisme est lui aussi à nouveau de mise. Et ce réalisme-là montre que Moscou est plus près de Tbilissi que Washington. La ministre des Affaires étrangères arrivée au pouvoir dans le sillage des turbulences «révolutionnaires» vient de chuter lourdement pour ne pas l’avoir compris. Elle se défend en accusant d’anciennes habitudes de servilité et de corruption. Elle a raison d’un point de vue occidental, mais elle qui est née et a vécu en France, peut-elle changer un peuple en quelques mois?
Dernier pays à avoir vécu un automne 2004 sous la couleur orange, la Roumanie est dans la même situation. Le président élu par surprise il y a une année est en général seul de son avis, son premier ministre prenant systématiquement le contre-pied de ses propositions. Il ne perd pas courage pour autant et ne cesse de répéter son message chaque fois qu’un micro passe à portée de voix.
Au début, on l’entendait, maintenant, sa voix se perd dans le vacarme de la politique politicienne. En une année, à part les «remarquables» progrès constatés par les observateurs de l’Union européenne, rien n’a changé. La justice est toujours aussi pourrie bien que le ministère soit coiffé par une femme d’une bonne foi absolue. Deux coups d’éclats ont surpris au cours de ces derniers mois. Deux démissions de ministres capables de faire passer leurs convictions avant les bénéfices de leur charge.
La ministre de la culture a démissionné en juin pour protester contre le fait que le premier ministre était revenu sur sa parole après avoir promis de démissionner pour ouvrir la voie à des élections anticipées. Il y a un mois, le ministre de l’éducation a lui aussi donné sa démission pour protester contre un budget insuffisant pour assurer la rentrée des classes.
Il s’agit là aussi de points de vue «occidentaux» défendus par des personnalités ayant perfectionné leur formation à l’étranger. Leur expression individuelle est hautement respectable, leur poids politique pratiquement nul.
Que déduire de réalités aussi disparates? Le poids du passé et des traditions, à coup sûr. Une certaine stabilisation du capital comme en témoignent la reprise en main du secteur pétrolier en Russie ou celle de l’acier en Ukraine. Et une marche extrêmement lente vers une démocratie de type occidental partout.