LATITUDES

Katrina, Wilma: une tempête de prénoms

D’où viennent ces prénoms dont on affuble les ouragans? Et pourquoi le prochain a-t-il déjà été baptisé Alpha? Plongée dans la logique alphabétique cyclonique.

L’ouragan Wilma n’a pas encore terminé son périple destructeur que déjà une nouvelle tempête tropicale baptisée Alpha fait son apparition au-dessus de la Mer des Caraïbes. Pourquoi Alpha et pas Xavier?

En devenant la 22e tempête atlantique répertoriée de la saison, Alpha bat le record jamais établi par une saison cyclonique. Dans l’histoire de la météo américaine, une seule saison a connu 21 tempêtes: c’était en 1933, à une époque où les ouragans n’étaient pas systématiquement baptisés.

Depuis 1953, les cyclones sont nommés à partir de listes de prénoms (établies par le Centre national américain de prévisions des ouragans (NHC) à Miami et maintenues à jour à Genève par l’Organisation Météorologique Mondiale (WMO).

Une systématique de «baptêmes» quasi militaire qui ne laisse guère la place à l’improvisation. Pour la zone Atlantique, six listes annuelles, comportant chacune 21 prénoms commençant par une lettre différente, sont utilisées à tour de rôle. Par exemple, la liste de 2005 sera réutilisée en 2011.

Si aujourd’hui, la tempête Alpha rompt l’ordre alphabétique immuable des listes, c’est simplement parce que les autorités météorologiques américaines ont considéré que les prénoms commençant par Q, U, X, Y et Z étaient trop rares pour être utilisés.
Les listes annuelles ne comportent donc que 21 noms par saison. C’est pourquoi une règle prévoit le recours à l’alphabet grec le cas échéant. La saison ne se terminant qu’à la fin novembre, on peut déjà s’attendre à la venue de Bêta, Gamma, Delta…

Lorsqu’un ouragan est particulièrement meurtrier et dévastateur, comme l’a été Mitch en 1998 ou Katrina cette année, il est retiré des listes pour entrer dans l’histoire et est remplacé par un prénom débutant par la même lettre. Cela permet d’éviter toute confusion entre deux tempêtes portant le même nom, lors d’actions en justice, de déclarations de sinistres aux assurances et aussi d’une certaine façon de simplifier le travail de mémoire des victimes.

En Amérique, pendant de nombreux siècles, les ouragans tropicaux sont baptisés du nom du saint du jour où ils se manifestent. Par la suite différents systèmes sont pratiqués. Clement Wragge, un météorologue australien, a le premier l’idée de donner des prénoms de femmes aux ouragans à la fin du XIXe siècle. Plus tard, on leur donnera même des noms de politiciens et de leurs épouses.

Pendant la Seconde Guerre Mondiale, la pratique des prénoms féminins se fait courante chez les météorologues de l’US Air Force et de la US Navy pour désigner de façon simple et concise les ouragans de l’Océan Pacifique. Après la guerre, l’alphabet phonétique (Able, Baker, Charlie, etc.) a les faveurs des météorologues civils.

En 1953, les Etats-Unis abandonnent ce système d’appellation au moment où un alphabet international (Alfa, Bravo, Charlie, etc.) fait son apparition et crée la confusion.

Cette année-là, les services de météorologie nationaux commencent à utiliser de façon généralisée des prénoms féminins pour nommer les cyclones. Les listes ne présentent que des prénoms de la gent féminine jusqu’en 1979, année à partir de laquelle noms masculins et féminins sont employés en alternance.

Il existe des listes pour les 11 régions concernées par les cyclones: Atlantique, Pacifique Nord-Est, Pacifique Nord-Central, Pacifique Nord-Ouest, Australie Occidentale, Australie Orientale, Nord de l’Australie, Fiji, Papouasie et Nouvelle-Guinée, Philippines, Océan Indien Sud-Ouest.

Dans l’ensemble, l’origine des prénoms correspond aux territoires couverts. Par exemple, les listes atlantiques comportent des prénoms anglais, français et espagnols. Morceaux choisis : Claudette, Beryl, Paloma, Gaston…

Au-delà de son aspect très fonctionnel, on peut se demander quel est le sens de cette pratique. Pour le sociologue Panagiotis Christias, chercheur au CEAQ et chargé de cours à Paris V: «Comparer la colère de la nature à celle de l’homme, c’est prêter à la nature une structure psychique humaine dans le but de rattacher un phénomène inexplicable à quelque chose de plus connu. D’une certaine manière, le prénom joue ici un rôle de passerelle entre le surnaturel et le monde humain, un rôle quasi mythique.»