Les Belges avec Electrabel, les Français avec Danone, les Allemands avec Volkswagen, les Italiens avec leurs banques… Chacun veut ronger son os capitaliste en paix. Comment comprendre cet étonnant repli de la part de champions de la mondialisation?
Déjà à la une de l’actualité fin juin, à la veille des vacances, la résurgence du nationalisme n’a pas faibli pendant l’été. Au contraire, on a vu fleurir dans la presse d’innombrables articles sur le dernier trend dominant, le patriotisme économique, version Dominique de Villepin. Les Belges avec Electrabel, les Français avec Danone, les Allemands avec Volkswagen, les Italiens avec leurs banques, chacun veut ronger son os capitaliste en paix. Et, surtout, dans son coin. Etonnant, non? Surtout de la part de champions de la mondialisation et du néo-libéralisme…
Une fois de plus, il s’avère que les principes, comme les promesses, n’engagent que ceux qui y croient. Or, nous ne vivons pas dans une période marquée par un dogmatisme étroit. Comment sinon expliquer le rôle très bizarre de la Chine sur les marchés internationaux? Cet Etat dont la doctrine officielle est toujours le marxisme-maoïsme agit comme la plus libérale des dictatures rêvées par les Chicago boys à l’époque où ils installaient Pinochet à la tête du Chili.
(Je signale au passage pour qui ne l’aurait pas encore eu entre les mains, l’exceptionnel numéro spécial de Courrier International consacré à la Chine. En vente jusqu’à la fin du mois, il présente le dossier chinois de l’intérieur, avec des extraits de la presse chinoise. Edifiant et hyperintéressant!)
Donc Villepin ne veut pas que Danone (même si son capital n’est plus français longtemps) soit officiellement américanisé. Réflexe patriotique? C’est ce que laisse croire une presse heureuse de découvrir dans le nouveau premier ministre français un homme capable de tenir tête à Sarkozy. Laurent Joffrin, le patron de la rédaction du Nouvel Observateur, y va même d’un incongru cocorico sous le titre «Ringard, le patriotisme?» (N.O., 18/08) pour rappeler les qualités de l’amour de la patrie. Comme si le yaourt était devenu la pièce maîtresse de la production stratégique française.
En fait de patriotisme économique, ne s’agirait-il pas plutôt du contrôle de centres proches du pouvoir et utiles à celui-ci? En bons politiciens soucieux de maintenir une clientèle efficace et dévouée, les Villepin, Berlusconi, Schröder, tiennent à ce que le contrôle de certaines entreprises reste national, à portée de main, entre gens de bonne compagnie. C’est-à-dire que les dirigeants soient des personnalités connues, capables d’intervenir au moment opportun pour sauver des parts de pouvoir dont des adversaires politiques pourraient s’emparer.
Il faut la crédulité bonapartiste d’un Joffrin pour y voir la marque d’un patriotisme de bon aloi.
En première page du Monde (13/08), un autre éditorialiste, Frédéric Lemaître, partant des mêmes prémisses, rappelle que mondialisation ne signifie pas uniformisation: «Les entreprises ont bien une nationalité, et chaque pays a intérêt à défendre les siennes, y compris en ayant une politique industrielle.» Toutefois quelques lignes plus loin, il se prend les pieds dans le tapis en se posant la question qui tue: «Mais la nationalité d’une entreprise n’est pas toujours évidente à définir: quelle est celle d’Arcelor, issue de la fusion du luxembourgeois Arber, du français Usinor et de l’espagnol Aceralia, dont le siège est à Luxembourg et le PDG français?» Et les ouvriers, qu’est-ce qu’ils sont les ouvriers? Maghrébins en voie de polonisation?
N’est-il pas consternant de voir que les idéologues peinent toujours à appeler un chat un chat et persistent à croire patriotique la vocation d’entreprises qualifiées au fil des décennies d’internationales, de transnationales, de multinationales, de globalisées, de mondialisées alors que cette vocation se réduit à viser à l’augmentation des bénéfices versés aux actionnaires. Comme Nestlé qui vient d’annoncer, pour le premier semestre 2005, plus de 3,6 milliards de bénéfices soit une hausse de 32% sur l’an dernier.