LATITUDES

La cousinade, une nouvelle façon de tisser des liens

Ces rassemblements familiaux connaissent un vrai succès, surtout auprès des jeunes. Une manière de découvrir sa famille lointaine tout en élargissant son réseautage.

Dans le sillage du succès de la généalogie, les rassemblements familiaux semblent avoir le vent en poupe. Pour les désigner, une nouvelle terminologie s’impose: les cousinades.

C’est d’ailleurs parce que l’invitation mentionnait ce mot, «cousinade», qu’elle a attiré mon attention. La lettre avait été envoyée aux descendants de Jean-Théodore (1863) et Emma (1865), parents de dix enfants parmi lesquels Elmire, ma grand-mère.

J’ai d’abord hésité. Alors que j’étais enfant, une précédente réunion de famille (d’une autre branche de mon arbre généalogique) m’avait laissé le souvenir picotant de vieilles tantes moustachues, de poignées de mains écrasantes, d’oncles peu avenants et de cousins tétanisés par la crainte de salir leurs chaussettes blanches. Rien de bien folichon!

Finalement, la curiosité a été la plus forte. Samedi dernier, j’ai donc pris la direction de La Neuveville pour me rendre à ce rassemblement de lointains cousins, et je n’ai pas été déçue. Moyenne d’âge: étonnamment jeune. La génération des soixante-huitards a dû constater que sa progéniture était bien représentée. On ne revient pas indemne d’une cousinade.

Ainsi, une discussion avec une cousine octogénaire (les psys parleraient de la pratique du transgénérationnel, un autre terme pas encore dans le dictionnaire) peut vous apporter un éclairage insoupçonné sur quelques facettes de votre identité. «Ta grand-mère, elle aussi … », me confie Mariette.

Avec ma petite-cousine Antoinette, nous tentons de percer quelques secrets de famille avant le décès de précieux témoins. Une démarche délicate mais récompensée par une découverte: la tante qualifiée de bizarre, de simplette, ne l’était certainement pas. Artiste brimée? Féministe avant l’heure? Et puis, comment vivait la «tante à chapeaux» ? Etait-elle pacsée avant l’heure?

Un réseau très hétéroclite s’est activé. Mon carnet d’adresses e-mail s’est enrichi de celle d’un serrurier, d’une missionnaire, d’un verrier, et même celle d’un océanographe qui revient d’une expédition sur le bout de caillou français de Clipperton.

Ma cousinade n’avait rien d’exceptionnel: de plus en plus souvent, les quotidiens régionaux se font l’écho de ces grands rassemblements familiaux. Les photos montrent des visages réjouis par de telles retrouvailles (ailleurs qu’aux enterrements!).

«On se réunit par choix, dans un esprit d’ouverture et non de devoir. Il s’y passe quelque chose d’important quant aux relations avec le passé», témoigne Anne Schuler-Wargnier, qui a initié le rassemblement de la famille Catala. C’est l’occasion d’établir un pont entre les générations, de retrouver le fil que les aléas de l’existence ont dénoué, de développer des liens de solidarité qui rassurent, d’activer un réseau.

Deux livres viennent au secours des futurs organisateurs de cousinades. Depuis la réunion d’un clan dont les membres se connaissent jusqu’au rassemblement des porteurs d’un même patronyme, les variantes sont nombreuses. «Organiser une cousinade» (éditions Autrement) et «Cousinades et rassemblements familiaux» (Revue française de généalogie) fournissent trucs, astuces, conseils et exemples pour réunir des personnes de la même famille qui ne se connaissent pas encore.

Si les lointains cousins jouent le jeu, l’opération amène forcément son lot de surprises. Le nombre d’ancêtres croît exponentiellement (chacun de nous a deux parents, quatre grands-parents, huit arrière-grands-parents, etc.) Vers 1550, à la quinzième génération, que l’on peut espérer atteindre par les recherches généalogiques, on compterait 16384 ascendants.

En poursuivant le calcul, on découvre que l’on aurait chacun, sous Charlemagne, plus d’ancêtres que le monde compte alors d’habitants! L’explication? L’implexe, c’est-à-dire les mariages entre cousins plus ou moins éloignés, qui fait qu’un même couple d’ancêtres peut apparaître plusieurs fois dans un même arbre généalogique.

Une manière de préserver sa richesse? Dans le «Point» du 28 juillet — qui s’est penché sur les héritiers des «deux cents familles» maîtresses de l’économie française –, on apprend que James de Rothschild révélait dès 1839 le secret de la bonne fortune: des unions intrafamiliales. «Il a toujours été plus ou moins entendu que nos enfants ne songeraient jamais à se marier en dehors de la famille. Ainsi la fortune resterait dans la famille»

Entre richesse financière et riches cousinades, il faut donc choisir…