Les Championnats du monde d’athlétisme ont permis, une fois de plus, de le vérifier: le sport n’est pas sexuellement neutre. Regardez ces corps…
Qui avoue se rincer l’œil devant les retransmissions sportives? En questionnant à la ronde, j’ai obtenu l’aveu de deux messieurs d’âge mûr qui «s’intéressent» au beach volley pour «la beauté des nanas». Mais, du côté des accros d’Helsinki, seule Christiane a admis qu’elle dévorait des yeux «les splendides Jamaïcains». Tous les autres m’ont dit regarder les compétitions uniquement pour les performances.
De son côté, le philosophe et écrivain Michel Serres voit dans l’épreuve du cent mètres, depuis le starting-block jusqu’au podium, le passage en raccourci de notre hominisation: de nos ancêtres à «quatre pattes» à notre station verticale («Variations sur le corps»).
Ce regard d’anthropologue n’est pas forcément le nôtre lorsque, avachis sur le canapé, nous restons scotché devant tant de corps d’Apollon et de Vénus. Et si l’on se regardait regarder?
Stimulée par la lecture d’«Eros/Hercule. Pour une érotique du sport» d’Alain Fleischer, je me suis livrée à cet exercice révélateur durant la semaine dernière.
Je le concède, je ne suis pas différente de Christiane. Les corps vêtus de jaune des athlètes jamaïcains ont su capter mes pupilles davantage que les marcels blancs allemands. Non, je ne n’admire pas uniquement les temps chronométrés, la longueur ou la hauteur des sauts …
Comment ne pas contempler tant de pectoraux au galbe harmonieux, de cuisses effilées, de démarches félines, de fesses rebondies à souhait, de visages orgasmiques sur la ligne d’arrivée? N’est-il pas temps de reconnaître que, selon nos fantasmes et nos désirs, nous regardons ces corps sportifs en les intégrant à notre imaginaire?
Dans «Eros/Hercule», l’auteur montre les liens étroits entre la dépense physique et la sexualité. Le sport réputé étranger à tout imaginaire érotique, au bénéfice d’un label de «sexuellement vierge, érotiquement neutre», est à mettre aux oubliettes.
La télévision a introduit le spectacle sportif avec sa charge érotique dans la vie privée, dans les lieux de l’intimité où le spectateur-voyeur se tient à l’abri des regards indiscrets. Et Fleischer n’hésite pas y voir «une sorte de peep show».
Le processus est d’ailleurs réversible. A l’érotisation du sport correspond une «sportivisation» de la sexualité. Ces influences réciproques s’observent depuis le prêt-à-porter jusqu’à la lingerie spécialisée, depuis l’appareil de gymnastique jusqu’à la cabine du peep-show.
Le sociologue français estime que l’ère post-industrielle devrait conduire à un dépassement du corps-machine, asexué, brutal, indifférent, en direction du corps désirant, fondamentalement sexuel, érotisé.
Le sexe étant devenu un argument de vente, il pourrait inspirer la création «de disciplines et de jeux sportifs où Hercule et Eros auraient partie liée dans une grande réconciliation dionysiaque. Le jour viendra où sportifs et sportives s’exhiberont ensemble dans des jeux et des concours qui offriront à l’œil, aux sens et à l’esprit autant de plaisir que les ébats, les poursuites, les rondes, les jeux de cache-cache, les enlacements, les enlèvements…»
Et Fleischer de rêver: «Le sport moderne n’est peut-être qu’un Purgatoire, en attendant le Paradis». Nous rêvons volontiers avec lui…