Inventeur d’un scanner de bagages révolutionnaire, l’entrepreneur tessinois Sergio Magistri vient de céder sa firme au géant General Electric. Récit d’un succès.
Créer une start-up, la faire croître puis la vendre pour 1 milliard de dollars… Si Sergio Magistri a pu réaliser ce rêve caricatural du jeune entrepreneur, c’est parce que la sécurité aérienne est devenue un marché extrêmement porteur. Mais c’est surtout parce que l’ingénieur tessinois a su, au cours de ses douze ans à la tête du fabricant de scanners de bagages InVision, gérer aussi bien la lenteur que l’accélération.
Sa ténacité (pendant les années creuses) et sa rapidité de réaction (depuis le 11 septembre 2001) se sont avérées particulièrement payantes. Après quatre mois de bataille juridique avec les autorités américaines, la transaction a abouti le 6 décembre dernier, et InVision a pu être vendue au géant General Electric pour plus de 900 millions de dollars (1,2 milliard de francs).
«Avec ce nouveau propriétaire, la compagnie pourra mieux faire face à l’augmentation de la demande et engager de meilleurs chercheurs, dit Sergio Magistri, de passage en Suisse. Quant à moi, je pourrai travailler moins et me consacrer aux sports que j’aime, comme la planche à voile. Je n’ai pas l’intention de reprendre un emploi à plein temps.»
Sergio Magistri a des raisons d’être épuisé. Depuis que George W. Bush a décidé de faire installer des détecteurs d’explosifs dans tous les aéroports américains, InVision a connu un développement que peu d’entreprises auraient pu soutenir. «En 2002, notre production est passée en un an d’une machine par semaine à six machines par jour!»
Les employés d’InVision, convaincus de «faire quelque chose d’utile pour le monde», ont suivi la cadence en travaillant par équipes 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Les effets ont été immédiats: le cours de l’action de l’entreprise — introduite au Nasdaq en 1996 à 1,36 dollar — n’a cessé de grimper, pour atteindre 50 dollars aujourd’hui.
«Et comme le rythme continuait de s’accélérer, nous avons décidé de travailler avec des sous-traitants, ce qui représentait un gros risque. Mais cette stratégie a été récompensée», raconte Magistri. Pour la deuxième année consécutive, InVision a été classée cet été en première position des «100 entreprises qui connaissent la plus forte croissance».
Un développement exponentiel qui contraste avec les premières années de la compagnie. InVision démarre en 1990 dans la région de San Francisco sous la forme de la spin-off d’une société d’imagerie médicale. C’est la catastrophe de Lockerbie, où des explosifs placés dans la soute font exploser le vol PanAm 103, qui donne à Sergio Magistri et à ses associés l’idée de se lancer sur ce nouveau créneau.
Le Tessinois dirige alors une quinzaine d’employés, passe ses journées à chercher des investisseurs et ses nuits à développer ses scanners de bagages. Mais pendant toute la décennie 90, l’activité de l’entreprise reste calme, à peine marquée par la commande en 1997 d’une cinquantaine de machines par le gouvernement américain à la suite de l’explosion du vol TWA au-dessus de Long Island.
InVision perd alors de l’argent, au point que son conseil d’administration hésite à poursuivre les investissements. Mais Sergio Magistri tient bon, convaincu d’occuper un marché à fort potentiel: contrairement aux rayons X, limités à deux dimensions, sa technologie de «computed tomography» permet à ses scanners de visualiser les objets en 3D et à ses logiciels de détecter la présence d’un explosif. Le tout sans intervention humaine.
Si cette ténacité a valu au Tessinois d’être nommé «Entrepreneur of The Year» en 2003 dans la catégorie Défense et Sécurité, elle ne l’a pas rendu aussi riche qu’on pourrait l’imaginer. «Je suis resté un petit actionnaire d’InVision, explique-t-il. Est-ce que je regrette de n’avoir pas acquis davantage de parts? Non. Quand un deal est scellé, il faut l’accepter. La fortune, vous savez, ça monte et ça descend en fonction des cours boursiers. Ce qui me paraît plus important, c’est de se concentrer sur la satisfaction que l’on retire de son travail.»
Aujourd’hui, à 51 ans, Sergio Magistri n’a plus besoin de travailler pour gagner sa vie. Mais il est peu probable qu’il reste inactif. En 1982, juste après ses études en ingénierie médicale à l’Ecole polytechnique de Zurich, il s’était déjà fait remarquer en franchissant les Alpes en aile delta. Puis il était parti aux Etats-Unis où son séjour devait, à l’origine, ne durer qu’une année sabbatique: il y vit depuis plus de vingt ans et n’a toujours pas perdu ce que la presse américaine appelle son «accent suisse».
Considère-t-il que sa culture helvétique a constitué un atout dans son ascension d’entrepreneur? «C’est possible, dit-il. Les écoles suisses produisent des généralistes, ce qui est toujours un avantage dans un monde où les gens sont de plus en plus spécialisés. Par ailleurs, le fait de vivre dans une Suisse multilingue nous avantage: on a l’habitude de parler avec des gens d’une autre langue, ce qui nous force à aller au fond des choses. Cette capacité de communication m’a certainement aidé quand j’ai commencé à travailler aux Etats-Unis. Cela dit, la mentalité suisse a aussi ses défauts: ici, les gens ont beaucoup trop peur de prendre des risques.»
——-
Sergio Magistri sera présent mardi 18 janvier 2005 à Berne à l’occasion du gala SwiTi 2005, Swiss Talents for Innovation.
Informations à l’adresse www.rezonance.ch/switi
——-
Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 30 décembre 2004.