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Parler de Yasser Arafat au passé

C’est l’un des derniers dinosaures politiques du XXe siècle qui est en train de s’éteindre. Et puisque l’heure est au bilan…

Les temps changent, le langage aussi, mais les mortels ne sauraient échapper à leur condition. On disait autrefois: «le roi se meurt», on dit aujourd’hui: «M. Arafat n’est pas décédé».

Le résultat est le même. Il s’agit d’organiser la succession, de veiller à ce qu’elle se fasse si possible au mieux des intérêts de la camarilla proche du futur défunt, de préparer les sujets au deuil, aux incertitudes de l’avenir, aux inévitables changements.

La modernité permet toutefois des accommodements avec la nature: l’état de «non décès» peut durer. Il y a une trentaine d’années, les franquistes espagnols parvinrent à prolonger l’agonie du général Franco pendant plusieurs semaines. Sans pour autant retarder vraiment sa mort politique. Nous pouvons donc parler de Yasser Arafat au passé.

Avec Arafat disparaît l’un des derniers dinosaures politiques issus du mouvement tiers-mondistes des années 1950-1960. Le seul qui reste en poste et lui soit comparable quant au charisme universel est Fidel Castro, qui, ce n’est pas un hasard, quitte aussi rarement son uniforme que ne le faisait Arafat. La comparaison s’arrête là tant le positionnement des deux leaders et la situation respective de leurs pays sont différents.

Mais on ne peut analyser leur action sans tenir compte du contexte dans lequel ils sont apparus et que l’on peut résumer en un mot, Bandoeng, du nom de cette ville javanaise qui hébergea du 18 au 24 avril 1955 une conférence internationale réunissant les chefs de 29 Etats africains et asiatiques sous la houlette de Nehru (Inde), Chou En-lai (Chine), et Sukarno (Indonésie).

A partir d’une position anticolonialiste commune, ils définirent les grands axes d’une collaboration politique cherchant à tirer un bénéfice maximum de la compétition entre Moscou et Washington.

A l’époque, la Palestine n’avait d’existence ni politique, ni nationale. Les territoires de Cisjordanie faisaient partie du royaume de Jordanie et la bande de Gaza, contrôlée par l’Egypte, n’était qu’un camp de réfugiés parqués dans le désert au bord de la Méditerranée.

Mais les Palestiniens de la diaspora, stimulés par le nationalisme arabe et le mouvement tiers-mondiste, commençaient à s’organiser. Il fallut une dizaine d’année pour arriver à la fondation du Fatah et de l’OLP. En 1967, la guerre des Six Jours déclenchée par Israël contre la Syrie et l’Egypte se solda par une importante victoire de l’Etat juif qui occupa le Sinaï, Gaza, la Cisjordanie, le Jérusalem arabe et le Golan.

Mais cette guerre donna aussi aux vaincus un leader, Yasser Arafat, qui devint en quelques mois président du Fatah (1968) puis de l’OLP (1969) en obtenant du coup une crédibilité internationale et le soutien officiel du monde arabe. C’est donc un règne de 35 ans qui s’interrompt aujourd’hui.

Puisque l’heure est au bilan, force est de reconnaître que le règne d’Arafat se solde par un échec qui frise le désastre.

La Palestine d’aujourd’hui est concassée par les blindés et bulldozers israéliens, elle est morcelée en une myriades de localités isolées les unes des autres, elle est en passe d’être complètement isolée du monde par un mur encore plus honteux que celui de Berlin. Piégée par les provocations d’Ariel Sharon, la direction palestinienne s’est lancée dans une intifida aveugle tant sur le plan militaire que politique. Et la réélection de George W. Bush n’annonce pas des lendemains qui chantent.

Yasser Arafat est-il seul responsable de ce désastre? On peut le penser en constatant qu’il n’a pas su s’adapter aux changements politiques. Nationaliste à l’ancienne, peu porté à respecter un minimum de principes démocratiques, couvrant sans état d’âme une gestion corrompue de ses maigres pouvoirs, il ne faisait pas le poids face à une machine israélienne bien rodée, culturellement occidentalisée, et, surtout, tenue à bout de bras financièrement et militairement par les Etats-Unis.

Mais cette responsabilité est aussi, très largement, celle de ses voisins et amis arabes qui n’ont pas su au cours des dernières décennies transformer la rente la rente pétrolière en un instrument de modernisation, d’adaptation au monde contemporain.

En ce sens, l’échec de Yasser Arafat est celui de tous les potentats du Proche-Orient qui sont en train de tendre le cou pour que les franges les plus frénétiques de leurs extrémistes religieux leur tranchent la gorge.