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Derrière le sourire de Blocher: la paranoïa

L’UDC voit des manipulations partout, mais ne recule devant rien pour conquérir le pouvoir, tout le pouvoir. Mensonge, démagogie et antiparlementarisme sont au programme.

Heureux! Le conseiller fédéral Blocher ne cache pas le contentement que lui inspire la crise qu’il est parvenu à déclencher au sommet de l’Etat, au sein du Conseil fédéral. Il s’en réjouit officiellement dans un communiqué intitulé «Le débat politique, un bienfait pour la Suisse»:

    Berne, 05.10.2004. Le conseiller fédéral Christoph Blocher se félicite du débat qui a surgi la semaine dernière au sujet de notre conception de l’État et du rapport entre le peuple, le Parlement et le Conseil fédéral. Il est à l’origine de réflexions nécessaires au niveau des contenus. Le chef du Département fédéral de justice et police (DFJP) est satisfait que soit reconnue la nécessité d’un débat approfondi sur la démocratie suisse. Il a la conviction que la controverse politique de la semaine dernière sur notre conception de l’État est un bienfait pour le pays. «Le temps est arrivé d’approfondir notre appréciation du terme souveraineté», souligne le conseiller fédéral Christoph Blocher. Il devrait résulter de cette réflexion une définition claire et transparente des rôles du Parlement et du Conseil fédéral, en tant que représentants du peuple. Une explication entre tous les acteurs de la démocratie (peuple, Parlement, gouvernement) s’avère urgente pour garantir le bon fonctionnement de toutes les institutions.

Le moment choisi pour le publier est intéressant. La veille, son parti déclenchait une violente offensive contre l’administration fédérale en publiant une affiche ouvertement antisémite dans le style des années 1930 et en publiant un communiqué assénant, entre autres, cette énormité:

    Les sondages, les comptes rendus des médias, les prises de position du Conseil Fédéral, les mots d’ordre du PRD, du PDC, du PS, des syndicaux (sic!) et des associations n’ont qu’un seul but: manipuler l’opinion publique.

Et les UDC de service, Fehr, Schlüer et consorts, de poursuivre en accusant les autorités d’utiliser l’argent du contribuable pour — je résume — l’embobiner.

Petite question: avec quel argent le site du Département fédéral de justice et police qui diffuse la pensée Blocher (et notamment ses discours est-il payé?

Deuxième petite question: de quel droit Blocher s’autorise-t-il à prendre des positions personnelles s’il l’interdit à ses collègues du gouvernement?

Troisième question: les arguments de l’UDC sur les manipulations relevant d’une paranoïa évidente, est-il sain de laisser plus longtemps son chef à la tête d’un département, le DFJP, où il peut provoquer des dégâts irrémédiables sur la personne de ses administrés?

Le Conseil fédéral ne devrait-il pas revoir — à la majorité — les attributions de ses membres et faire de Blocher un ministre sans portefeuille en attendant qu’il soit déboulonné à la prochaine élection? On a vu récemment le Conseil d’Etat des Grisons dessaisir ainsi un de ses membres de toutes ses responsabilités.

Mais trêve de galéjades, l’heure est grave. Si Blocher peut se réjouir des bienfaits politiques que connaît la Suisse, c’est parce qu’il a conscience d’avoir encore le vent en poupe après son entrée risquée au gouvernement. Il s’était lancé l’an dernier dans un audacieux «quitte ou double». Il estime aujourd’hui, à juste titre, qu’il a doublé la mise. Son arrivée à l’exécutif n’a pas affaibli son parti.

Au contraire, il peut laisser la bride sur le cou à ses lieutenants — les Maurer, Mörgeli, Schlüer, Fehr, Perrin, Freysinger et même l’ineffable Fattebert — qui occupent quotidiennement le terrain, jamais en manque d’une mauvaise idée, toujours prêts aux provocations les plus odieuses. Le Chef quant à lui peut agir dans l’ombre, distiller son venin, semer le désarroi dans le camp adverse.

La recette politique, le populisme, n’est pas nouvelle. Elle est même aussi vieille que la civilisation occidentale et nous renvoie tout droit à la République romaine qui en fut la première victime.

C’est pour avoir compris le pouvoir mortifère du recours au peuple que la Révolution française envoya le concept de peuple aux oubliettes de l’histoire pour valoriser l’assemblée des citoyens.

C’est pour couper les ailes aux démagogues de tous poils que la Révolution française se prononça pour la démocratie indirecte, où les députés élus par les citoyens représentent un rempart rationnel, raisonnable et raisonnant contre les vagues de fond émotives et sentimentales qui peuvent à chaque instant transformer les habitants d’une contrée en une meute hurlant à la mort du voisin mal aimé ou d’un quelconque pauvre bougre pris comme bouc émissaire.

Mais il y a plus: depuis quelques semaines, l’action politique de l’UDC et de ses chefs prend une couleur fascisante. La preuve? Le recours au mensonge, à la démagogie, à l’antiparlementarisme, à l’exclusion de l’autre par le recours à la xénophobie, au racisme et — je le répète — à l’antisémitisme.

Pascal Couchepin découvre avoir introduit le loup dans la bergerie. Sa contrition est pathétique, mais elle ne change pas la donne d’un iota.

Comme toujours lorsqu’une force politique se lance à l’offensive, Blocher et ses amis ont une longueur d’avance. Leur parti, flanqué d’organisations de masse efficaces (Asin, Ligue des contribuables) est bien et solidement organisé. Le réflexe sectaire joue à fond: les dissidents (comme Huber, le conseiller d’Etat zurichois) sont impitoyablement éloignés et ceux qui restent resserrent les rangs.

Ils sont gonflés par le seul enjeu qui vaille à leurs yeux: la conquête du pouvoir, de tout le pouvoir. Cet enjeu, Blocher n’en a jamais fait mystère. Il s’agit pour lui non seulement de rompre le consensus, la formule magique (c’est déjà fait!), mais d’envoyer la gauche dans l’opposition, de virer les socialistes du gouvernement, de casser les centristes démocrates-chrétiens et radicaux pour n’en récupérer que les franges droitières.

Alors, alors seulement, il pourra amuser le peuple avec des fêtes de tirs ou des rassemblements de jodleurs et imposer sa vision ultralibérale de l’économie conformément aux préceptes de la Société du Mont Pèlerin chère à Friedrich Hayek et William Rappard.

C’est parce que je n’ai pas envie de vivre dans une Suisse recroquevillée, obéissante, raciste, fermée aux hommes mais ouverte aux capitaux, que j’ai essayé de comprendre d’où pouvaient bien venir des idées aussi rétrogrades, que j’ai étudié le lent cheminement du nationalisme helvétique et que je publie aujourd’hui un essai qui montre que si Blocher est le plus habile de nos nationalistes, il est loin d’être le premier.

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Gérard Delaloye publie dès aujourd’hui le livre «Aux sources de l’esprit suisse, de Rousseau à Blocher» (éditions de l’Aire). Prix: CHF 30.-

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