Pour la première fois, aucune des cinq nations majeures du continent n’est présente dans le dernier carré. Un nouvel ordre européen du football? Revue des forces avant demi-finales.
Portugal contre Pays-Bas (mercredi 30 juin, stade José Alvalade de Lisbonne) d’un côté; Grèce contre République Tchèque (jeudi 1er juillet, stade do Dragao de Porto) de l’autre.
Les demi-finales de l’Euro 2004 élargissent l’Europe. Au Portugal, nous localisons l’extrême pointe du continent, sa proue atlantique: le Cap de Saint-Vincent, tout au bout de l’Algarve. En Grèce, sur la braise volcanique de quelques rocs insulaires très disputés par le voisin turc, nous ne sommes qu’à trois kilomètres de la côte d’Asie Mineure.
La République Tchèque, elle, se trouve au centre géographique, historique et culturel du continent, mais elle ne l’est pas encore dans tous les esprits, en tous cas pas dans les plus simples: dimanche soir, le parfait imbécile qui commentait sur France 2 la formidable performance des compositeurs de Bohême (3-0 contre des Danois interloqués) finit par dire que «s’ils jouent si bien, c’est parce qu’ils n’ont pas envie de rentrer à la maison. Qui voudrait rentrer en Tchécoslovaquie?».
Enfin, les Pays-Bas se sont eux aussi invités en demi-finales, après un premier tour difficile, défaits par des Tchèques qu’ils retrouveront peut-être… en finale. Ce qui fera plaisir à Guillaume d’Orange, en l’honneur duquel les Bataves arborent toujours un maillot particulièrement voyant.
Ainsi, à y regarder de plus près, la situation est inédite. Toutes les grosses pointures continentales sont rentrées à la maison, après avoir produit un football variant du moyen (Angleterre) au franchement misérable (France).
Faut-il dès lors proclamer l’avènement d’un nouvel ordre européen du football ?
La tentation est forte, mais ce serait erroné. D’abord: Portugal, Pays-Bas et République Tchèque ne sont pas, à proprement parler, des petites nations du ballon rond, même si aucune de ces trois n’a remporté la Coupe du Monde — les Néerlandais ont échoué sur le fil par deux fois.
Hollandais (1988) et Tchèques quand ils étaient encore Tchécoslovaques (1976) ont par contre remporté un Euro chacun dans le passé. Le onze portugais, malgré tout son prestige, échoue régulièrement en quarts ou en demi-finales des compétitions importantes. Il entretient le mythe d’Eusebio (1966), sorte de Pelé lusitanien que la télévision portugaise nous montre guilleret ces jours dans les tribunes lisboètes.
Mais si les caméras insistent autant sur Eusebio, c’est que pour l’instant, le football portugais vit dans le souvenir d’une grandeur figée. Il lui faudrait, pour changer enfin d’époque, une victoire finale dimanche prochain. Elle est à sa portée.
Quant à la Grèce, c’est une inconnue absolue à ce stade de la compétition. Les mauvaises langues prétendent que l’échappée folle des dribbleurs hellènes est provoquée par le bonheur qu’ils ont à jouer dans des stades terminés. Inutile de philosopher sur leur présence à ce niveau. Il faut toujours un «invité surprise», ainsi le veut une règle non écrite, aussi antique que les Jeux d’Olympie.
L’élimination des cinq «grands» trouve plusieurs explications: la lenteur du jeu, la prime au secteur défensif, un trop grand étirement des lignes (défense-milieu-attaque) et l’obsession du passage par le centre au lieu d’utiliser les ailes pour écarter le jeu.
Pire, ce qui a caractérisé ces équipes «froides» est la certitude que la gestion de la rencontre est plus importante que l’enthousiasme. L’idée principale de Jacques Santini, de Rudi Völler ou de Giovanni Trappatoni était d’économiser des forces, d’attendre la faiblesse de l’adversaire. En somme, c’est, appliqué au sport d’équipe, la même dialectique que celle de la politique: conservateurs contre réformistes.
Car en face, côté tchèque, nééerlandais ou portugais, c’est une nouvelle lecture du rapport de force sur le terrain qui a prévalu. Alors qu’ils avaient disparu depuis quelques années, nous avons vu réapparaître de vrais ailiers de débordement, dribbleurs invétérés, coursiers survoltés. Cristiano Ronaldo — élu homme le plus sexy de l’Euro 2004 par l’association des gays du Portugal –, le Hollandais Robben, ou encore le Tchèque Marek Heinz (bien que souvent remplaçant) ont animé le jeu sur le côté, là où il prend son ampleur, là où il se bonifie comme un cru de la Rioja dans son fût de chêne californien. Sans ailiers, le football manque de goût. Honneur à ceux qui ont su, qui ont osé, lui redonner cette saveur.
Avant de terminer cette chronique, nous aimerions revenir sur un moment mémorable.
C’est pendant Angleterre-Portugal. Les Anglais mènent 1 à 0 depuis la 3ème minute, but de Owen. En face, les Portugais dominent. Mais ils sentent peu à peu le souffle de l’irrévocable élimination sur leur échine. Dix millions de Lusitaniens (plus deux millions dans la diaspora) ne le leur pardonneraient pas.
C’est alors, au milieu de la seconde mi-temps, que le sélectionneur brésilien du Portugal Scolari — démago, il se drape désormais dans les deux drapeaux — fait sortir le «galactique» Luis Figo. Pour le remplacer par l’inconnu Helder Postiga, un gars qui évolue à Tottenham, équipe londonienne d’un quartier peu glamour. Le public siffle (Figo est la superstar portugaise, titulaire au Real de Madrid).
Figo, surtout, tire une tronche épouvantable en sortant du terrain. Au lieu d’aller s’asseoir sur le banc à côté de ses collègues de travail, comme c’est la tradition, il file tout droit aux vestiaires. La presse portugaise, patriote, dira plus tard que c’était «pour aller prier».
Helder Postiga, lui, ne semble guère affecté par le mépris grotesque de Figo à son égard. Quelques instants après son entrée en jeu, il égalise d’une tête superbe, redonne espoir à tout un peuple, devient un héros national, l’équivalent, presque, de Vasco de Gama et Magellan.
Plus jouissif encore, Postiga se signale un peu plus tard pendant l’épreuve des tirs au but. Il enfile, en effet, une inimaginable «panenka» au malheureux portier James. Une «panenka»? Pour en savoir plus, cliquer ici.