Les filles y voient un tue-l’amour, les ressources humaines la déconseillent et pourtant, elle réapparaît chaque été: c’est la chemise à manches courtes. Méfiez-vous d’elle, Messieurs, c’est une traîtresse.
Avec l’été revient cette tentation naturelle et toute masculine: l’envie de porter une chemise à manches courtes. Pour préparer un barbecue dans le jardin, bien sûr. Pour emmener les enfants à la plage, sans problème. Et pourquoi pas pour aller travailler, ou pour un rendez-vous galant, ou… stop.
A ce stade, les attitudes masculines divergent violemment: il y a d’un côté les hommes élégants, qui ne conçoivent une chemise qu’à manches longues — retroussées, à la rigueur, mais toujours longues; et de l’autre les mâles insouciants qui optent pour la manche courte quand il fait chaud en considérant qu’un vêtement, ça doit avant tout être fonctionnel.
Voilà pour les comportements extrêmes. Entre les deux, on trouve évidemment tous les garçons raisonnables qui, sans être obsédés par leur look, souhaitent rester séduisants et éviter les faux pas. Leur réaction face à la manche courte est souvent teintée de méfiance: je peux la porter avec un costume, avec une cravate? A n’importe quelle occasion? Hors ou dans le pantalon? C’est à cette majorité perplexe que s’adresse cet article.
1. Pas avec un costume
Hommes raisonnables, vous avez raison de vous méfier de la chemisette. Car son aspect pratique et anodin cache souvent des fautes de goût impardonnables. Dans les traités d’élégance, elle est même carrément proscrite parce que incompatible avec le costume.
Le code veut en effet que la manchette de la chemise demeure toujours visible au poignet, pour montrer que vous êtes propre et pas nu dessous. «Quand chemise et veste présentent la bonne longueur de manche, la manchette sort d’au moins 1 cm», précise Bernhard Roetzel dans son livre, «L’Eternel Masculin».
Si un patron de PME romande vous avoue porter occasionnellement des chemises à manches courtes, mais sans tomber la veste, «pour pas que ça se voie», répondez-lui qu’il a tout faux: le port du veston constitue une circonstance aggravante car un poignet flottant ne trompe pas. Quitte à porter une chemisette, mieux vaut abandonner la veste: on comprendra que cette entorse au code vestimentaire est due à la canicule.
2. Pas au bureau
Bien sûr, la plupart des entreprises autorisent leurs employés à porter la chemise à manches courtes. Mais il faut savoir que ce n’est pas la meilleure manière d’obtenir une promotion.
Au service du Protocole de Genève, on la dit tolérée par temps de grosse chaleur mais dès que l’occasion devient plus officielle, elle est définitivement bannie. «Il n’y a pas de règlement à son sujet, mais tacitement, la chemise courte est un interdit vestimentaire sur le lieu de travail, explique David Souperbiet, responsable des ressources humaines chez Nestlé Globe. Elle en dit long sur les origines et les fonctions de celui qui la porte car elle déroge à certains codes vestimentaires. Dans un poste où le contact avec la clientèle est de mise, elle est une faute de goût impardonnable. D’ailleurs, dans certaines sociétés américaines, son port est tout simplement proscrit.» Dans la banque privée, elle est même impensable.
Les professionnels du recrutement déconseillent généralement de la porter pour un entretien d’embauche. «Elle donne une impression de décontraction qui n’est pas toujours en phase avec le sérieux requis pour la postulation à un emploi de cadre», dit sobrement Pascale Jeannet, de Jeannet Associates.
3. Pas avec une cravate
Malgré toutes ces mises en garde, on continue à voir des multitudes de chemisettes, avec cravate de surcroît, dans les entreprises et les administrations. C’est même devenu l’uniforme du fonctionnaire caricatural, qu’il soit buraliste bonhomme ou rond-de-cuir ridicule, héritier du personnage de Courteline qui popularisa le look «bras cassé» avec ses demi-manches en lustrine retenues au coude par un élastique…
Pour marquer leur différence avec ce stéréotype déprimant, les fonctionnaires modernes et créatifs ont avantage à porter des chemises à manches longues. Ou, tout au moins, de laisser tomber la cravate quand ils travaillent à bras nus. Histoire de limiter les dégâts.
«Mais dans ce cas, autant préférer le t-shirt, ou retrousser ses manches», conseille gentiment Dulcia Gennaoui, qui a été acheteuse pour le Bon Génie et qui s’occupe maintenant de l’Adresse à Genève.
4 Pas pour séduire
Quand elles parlent entre elles, les filles ne sont pas tendres avec la chemisette. «C’est un tue-l’amour», résume Sonia. «A notre premier tête-à-tête, j’aurais préféré qu’il ne m’impose pas la vision de ses petits bras blancs pas musclés», dit Marthe. «Le pire, c’est les coudes gris avec la peau morte: l’horreur», ajoute Aline.
«Mon homme voulait en mettre une pour une soirée. Comme c’était son intronisation auprès de mes copines, je l’ai vite fait remonter se changer», raconte Isabelle. «Ça me fait penser aux manchettes gonflables qu’on donne aux enfants pour nager», reprend Aline. «Les manches courtes, c’est jamais très classe, sauf si le mec est balèze et bronzé», conclut Sonia.
5 Pas dans le pantalon
C’est un dilemme voisin de celui du capitaine Haddock dans son lit: la barbe, sous le drap ou par-dessus? La chemisette, dans le pantalon ou en dehors? Compte tenu de tout ce qui précède, on aura compris que la manche courte (comme la barbe de loup de mer, d’ailleurs) est déconseillée dans la plupart des situations.
Si vous souhaitez toutefois continuer à la porter en public, choisissez les circonstances: elle sera parfaite pour préparer un barbecue dans le jardin, pour emmener les enfants à la plage, pour prendre un verre sur une terrasse ou pour partir en vacances… Autant de situations décontractées qui imposent de la laisser hors du pantalon, ou mieux: du panta-court ou du short. C’est aussi plus confortable puisque l’air peut ainsi circuler et rafraîchir la peau.
«La chemise manches courtes se range dans la même catégorie que les chaussettes blanches: ce sont des articles conçus pour un environnement particulier et très, très circonstancié», explique Julian, tout droit sorti des écoles de la Chambre syndicale de la haute couture de Paris.
En d’autres termes, pour Stéphane Bonvin, spécialiste de la mode et responsable des pages «Société» du journal Le Temps, «dans le doute, vous aurez toujours moins de risques de vous tromper avec une chemise à manches longues, quitte à les retrousser quand il fait chaud, qu’avec une chemise à manches courtes».
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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 17 juin 2004.