Pour des raisons qui demeurent mystérieuses, la puberté se manifeste toujours plus tôt. Lorsqu’elle est problématique pour l’enfant ou pathologique, il est possible de la freiner. Explications.
Quelques mois avant de fêter ses 8 ans, Caterina* constate que des poils pubiens commencent à faire leur apparition et que le volume de ses seins augmente. La jeune fille est très mal à l’aise parce qu’à l’école, après la piscine, elle se douche, nue, en compagnie d’autres filles de sa classe qui ne présentent alors pas ces caractéristiques. Inquiète, sa mère consulte une pédiatre. Après un contrôle, il s’avère que du point de vue médical, il n’y a aucune anomalie. Mais étant donné le malaise vécu par l’enfant, la possibilité de freiner le processus de sa puberté est envisagée. En fin de compte, la famille décide de laisser Caterina évoluer naturellement sans intervenir et demande à l’école qu’après la piscine, elle puisse prendre sa douche en costume de bain. La situation de Caterina est de plus en plus fréquente. Ces dernières années, Michael Hauschild, responsable de l’Unité de pédiatrie, endocrino-diabétologie et obésité pédiatrique au CHUV a observé une «augmentation significative» des cas de puberté précoce et en traite dans son centre spécialisé entre 25 et 40 par an.
On parle de précocité lorsque les premiers signes de la puberté comme l’augmentation de la taille des seins ou des testicules, la pilosité, les menstruations, l’allongement du pénis, ou encore une forte croissance apparaissent avant 8 ans chez les filles et avant 9 ans chez les garçons. Il est question de puberté «très précoce» lorsque ces caractéristiques se révèlent avant 6 et 7 ans respectivement.
Un phénomène universel
En 2020, une méta-analyse incluant 20 pays de tous les continents montre que la baisse de l’âge de l’apparition des règles serait un phénomène universel. On mesure effectivement un recul de près de 3 mois par décennie entre 1977 et 2013. «L’âge moyen de la puberté a diminué ces décennies, l’apparition des premiers signes passant de 14–15 ans à 10–11 ans. Néanmoins, il demeure tout à fait normal. Il y a certes plus de consultations, mais nous ne pouvons pas parler d’épidémie de puberté précoce», affirme Michael Hauschild. Ce phénomène a toujours existé, tempère-t-il. De tout temps, il y a eu des personnes s’écartant de la norme, sans pour autant que l’on puisse considérer cela comme une pathologie.
La puberté est un événement physique naturel qui prépare le corps à être fertile, rappelle le pédiatre. «Au cours des décennies et des siècles précédents, elle a été étroitement liée à l’environnement. Elle se manifeste si les conditions externes sont favorables. On sait, que lorsqu’il y a un excès pondéral, la puberté peut être plus précoce.» Le spécialiste souligne aussi le lien entre la précocité de la puberté, un indice de masse corporelle plus élevé et la nutrition. «Il est connu que chez les enfants qui ne mangent pas suffisamment, la puberté se déclenche plus tard.»
Des causes encore méconnues
«Pour l’instant, outre l’amélioration des conditions sanitaires et alimentaires, nous n’avons pas de réponses pour comprendre ce qui provoque l’avancement de la puberté», soutient Michael Hauschild. Ces troubles hormonaux découlent-ils de la présence d’œstrogènes dans la production animale, de l’usage des pesticides ou encore de la présence des perturbateurs endocriniens dans les produits cosmétiques et alimentaires? «Ce sont des théories plausibles, mais difficiles à prouver chez l’humain. Tout comme il est impossible de dire, à ce stade, si les conditions socio-économiques ou l’ethnie peuvent influencer le phénomène», avance-t-il, indiquant qu’une autre hypothèse est que le bouleversement de nos rythmes biologiques, lié à la lumière des écrans, modifierait la sécrétion hormonale.
L’essentiel, souligne le médecin, est d’identifier une puberté précoce qui serait rattachée à un trouble ou une maladie. «La puberté précoce idiopathique, c’est-à-dire indépendante d’une pathologie, peut être une variante de la norme, sans problèmes ; elle survient juste plus tôt que l’indique la norme. Tandis que l’autre forme peut être la conséquence d’une lésion tumorale ou d’un trouble génétique ou enzymatique et nécessitera forcément une prise en charge.»
Parfois, repérer la pathologie n’est pas évident et requiert des investigations. «Si un enfant de 4 ans développe des poils pubiens et des seins, tout le monde sera d’accord pour dire que quelque chose ne tourne pas rond. En revanche, chez un enfant de 7–8 ans, ce n’est pas clair. Il y a une zone grise.» Pour déterminer si la puberté précoce est pathologique, les niveaux d’hormones pourront être contrôlés, ainsi que la maturation osseuse de l’enfant, de façon à voir si son âge biologique et son âge chronologique sont concordants.
Évaluer la pertinence d’un traitement
Après avoir fait un bilan, si tout est normal, un traitement pour freiner la puberté peut éventuellement être envisagé.«Même si, probablement, sans traitement, cette précocité n’aura pas d’influence sur la taille adulte de l’enfant, ni d’autres conséquences physiques négatives.» Elle peut toutefois perturber son développement psychologique, créant éventuellement une dissociation psychosomatique. Un phénomène qui se manifeste lorsqu’on mesure un décalage entre le développement du corps et le niveau de maturité émotionnelle, précise Michael Hauschild. Si l’enfant a moins de 6 ou 7 ans, la puberté très précoce peut engendrer qu’il soit moins grand adulte, puisque la croissance cesse quelques années après la puberté.
Le médecin spécifie qu’il existe des cas atypiques de puberté précoce, dite hétérosexuelle, où les filles présentent des signes de virilisation (une forte acné ou beaucoup de poils) et les garçons, des signes de féminisation (développement des seins). Cela peut aussi concerner les personnes avec des rares différences du développement sexuel, dont les aspects des organes génitaux ne correspondent pas aux définitions traditionnelles du sexe masculin ou féminin. Lorsque les signes caractéristiques du propre sexe se développent, la puberté précoce est iso-sexuelle. «Ces situations peuvent être un signal d’alerte pour le pédiatre.» Il faut bien sûr s’assurer d’avoir déterminé la cause de la puberté précoce avant de proposer un traitement, souligne l’expert. «Outre une investigation médicale, on demande au pédiatre, aux parents, aux enseignants et à l’entourage d’évaluer la souffrance liée à la puberté précoce ou très précoce affectant l’enfant; une large place est donnée à son vécu.»
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Prévalence de puberté précoce chez les filles
L’avancement de l’âge moyen de la puberté est un phénomène qui s’observe aussi bien chez les filles que chez les garçons. Mais ces derniers seraient environ 10 fois moins concernés par une puberté précoce idiopathique (indépendante d’une pathologie). En effet, ces cas de puberté précoce sont plus fréquemment signalés chez les filles – plus de 80% des cas. Cela s’expliquerait en partie parce que les parents sont plus attentifs, dans un monde très sexualisé, aux implications psychosociales que des signes précoces de puberté peuvent impliquer pour une fille. Il existe aussi moins d’études sur la puberté précoce chez les garçons parce qu’ils consultent moins. Et en consultation, ceux-ci seraient davantage préoccupés par une puberté tardive. On sait cependant qu’en ce qui les concerne, s’ils vivent une puberté précoce, il y a plus de risques – dans 70 à 80% des cas – de trouver une pathologie ; une lésion tumorale au cerveau, ou un trouble des glandes surrénales ou de l’hypophyse, avec des signes évoluant souvent rapidement.
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Comment la puberté précoce est traitée:
Stopper la production d’hormones sexuelles: Une thérapie hormonale pour freiner la puberté précoce consiste en un produit de synthèse qui retarde la sécrétion des hormones de la puberté, injecté dans le muscle tous les 3 mois.
Une durée moyenne de deux ans: En Suisse, le traitement s’élève à environ 430 francs par trois mois. Il dure en moyenne deux ans. Le plus souvent, il est prescrit jusqu’à 10–11 ans, l’âge moyen de la puberté, lorsqu’elle repartira naturellement.
Peu d’effets secondaires: La thérapie n’influence pas la croissance et la taille définitive de l’enfant, sauf si elle est commencée avant 6–7 ans. Elle a peu d’effets secondaires et peut être menée sans risque avec la prise d’autres médicaments.
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Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans In Vivo magazine (no 29).
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