Surfer sur internet sur les traces de sa propre identité… Cette nouvelle pratique s’apparente à une forme d’hygiène personnelle. J’y ai même trouvé l’image de mon âme. Sans blague.
«Quelle chance! Tu as dépassé les mille.» C’est ma copine Sylvie qui m’apprend l’heureuse nouvelle. Dire que sans son esprit de compétition, j’aurais continué à vivre comme avant… En ignorant le bénéfice que l’on peut tirer d’un ego alimenté au self googling.
C’est une nouvelle forme de rapport au moi. Régulièrement, Sylvie me confie qu’elle se googlise elle-même. Traduisez: elle introduit son nom sur le plus fréquenté des moteurs de recherche, pour compter le nombre d’occurences et contempler son reflet en ce nouveau miroir. Fébrile, elle en attend un résultat susceptible de venir booster un moi passagèrement vacillant.
Ses participations assidues à des manifestations sportives lui valent de figurer sur environ 320 classements en ligne. Elle en parle souvent au travail, et ses collègues, qui ne figurent que sur quelques sites généalogiques, sont un peu jaloux.
Elle-même n’est pas indifférente à mes résultats: plus de mille occurences. «En travaillant pour un magazine en ligne, tu n’as pas vraiment de mérite!»
Rob Long, journaliste à Newsweek, partage avec Sylvie ce besoin de conforter son image en recourant lui aussi à Google. Dans sa dernière chronique intitulée «Looking for the Online You», il se confie: quand en pleine nuit il se morfond ou se sent insécurisé, il tue un certain nombre d’heures «by Googling myself».
Ses quelque 4’800 références le satisfont pleinement. Il estime ce résultat pas mal du tout pour une non-célébrité. Même si son nom de famille, combiné avec certains autres mots, le fait atterrir parfois sur des sites pornos. Et puis, un photographe porte le même nom que lui, ainsi qu’un individu qui tente de vendre une Mustang Fastback de 1967…
Pourquoi perdre du temps à surfer sur le Net sur les traces de sa propre identité? Comment expliquer une telle pratique? Y verra-t-on prochainement un nouveau venu parmi les constituants de l’individualité du «moi»? Plusieurs ouvrages viennent de paraître qui explorent la nature de ce rapport fondamental de soi à soi.
Mais ni Jean-Claude Kaufmann dans son «Invention de soi. Une théorie de l’identité», ni Charles Larmore dans «Les pratiques du moi» n’ont encore repéré dans le self googling un nouveau mode d’appréhension de soi; une sorte de troisième œil permettant de scruter d’un regard extérieur une des dimensions de notre ego.
Mais le self googling, c’est autre chose encore. Il permet de savoir quelles informations vous concernant flottent dans le cyberespace, prêtes à être collectées par un internaute anonyme. Qui n’a jamais eu le réflexe, après une première rencontre, d’aller aussitôt se renseigner sur Google pour en savoir davantage sur l’inconnu? Dans la drague, le procédé est presque systématiquement utilisé.
Notre «moi» présent sur le Net peut d’ailleurs, par ses renvois à des traces non effaçables d’une vie antérieure, s’avérer embarrassant. Ainsi, je me passerais bien d’y voir figurer la forme, pas vraiment très esthétique, de mon âme qui a, j’en suis sûre, embelli depuis.
C’est là le souvenir encombrant laissé par une visite à une expo dont l’artiste avait mis au point un programme permettant de visualiser l’âme des visiteurs curieux. J’ai été assez étonnée de découvrir, par Google, quelque temps plus tard, la mise en ligne de mon intimité.
Alors que la presse parle de Googlemania, Rob Long prévoit que le self googling deviendra une nouvelle forme d’hygiène, semblable à l’usage du fil dentaire ou l’entretien des ongles. A son avis, il n’est pas nécessaire de s’y adonner tous les jours, mais cela devrait désormais faire partie intégrante de notre maintenance personnelle régulière.