Avec «Le plus beau jour de ma vie», Cristina Comencini, fille de Luigi, tisse une chronique familiale très tchekovienne, un film chorale où chaque personnage a le pouvoir d’exister, même le dernier des chiots de la portée.
Comme «Lost in translation», «Le plus beau jour de ma vie» est signé par la fille d’un grand maître du cinéma mondial. Un peu moins connu, certes, que l’ogre Coppola, Luigi Comencini est considéré comme un des meilleurs peintres de l’enfance. On lui doit, notamment, «Casanova, un adolescent à Venise» et «L’Incompris», un mélodrame à classer parmi les dix plus beaux du monde.
Cristina Comencini (à ne pas confondre avec sa sœur Francesca, également cinéaste) partage avec son père une même vision de la famille, lieu d’amour et de souffrances, d’émerveillement et d’injustices; lien qui punit autant qu’il gratifie et dont on ne se défait jamais.
Leur cinéma, d’une délicatesse non exempte de cruauté, excelle à révéler les âmes en filmant la météorologie des visages. Le père comme la fille vont au coeur des choses mais sans fracas, avec une légèreté teintée de mélancolie qui sied à leur tempérament tchekovien.
Le film de Cristina Comencini fait également penser à «In America» de Jim Sheridan. Dans les deux cas, il s’agit d’une chronique familiale observée par les yeux d’une petite fille de onze ans qui tente de conjurer le destin de sa famille par quelques prières et rituels magiques. Résignée à la séparation de ses parents, elle filme les turbulences de sa famille réunie le temps d’un été autour de la grand-mère, une veuve encore belle (Virna Lisi), très attachée à sa maison qui part en ruines.
A sa copine qui lui demande comment il fait pour lire autant, un adolescent répond: «C’est facile d’être happé par un livre, il suffit de trouver quelque chose de soi dedans.» Et ce qui vaut pour la lecture vaut également pour le cinéma. Voilà le secret de l’émotion distillée par «Le plus beau jour de ma vie», film qui parle de nous, de nous à différents âges de la vie, comme si toutes familles du monde souffraient des mêmes maux: trouver sa place au sein de la tribu, oser la revendiquer, se séparer des siens tout en restant proche d’eux, choisir de se blesser plutôt que de blesser les autres puis leur en vouloir de ce sacrifice inutile, ne pas répondre à l’image idéale de ses parents, ne pas être à la hauteur de la demande de ses enfants, renier ses proches de peur de leur ressembler, perdre le désir, le retrouver avec d’autres, en souffrir, faire souffrir etc…
Le totem de cette famille romaine plutôt aisée, c’est donc la grand-mère. A quelques semaines de la première communion d’une de ses petites filles, elle découvre que le monde qu’elle s’est construit s’effrite et que ses trois enfants sont en crise. Sara, l’aînée, qui s’est isolée depuis la mort de son mari, passe ses soirées à attendre le retour de son fils et à craindre qu’il ne lui arrive quelque chose.
Mère anxieuse et frustrée qui ne fait confiance à personne, elle s’éprend, à la suite d’un faux numéro, d’une voix masculine entendue au téléphone. Rita, la seconde, semble mener une existence heureuse avec son mari qu’elle a épousé par amour, et leurs deux filles Silvia et Chiara.
Mais les choses ne sont pas aussi simples. Sans désir pour son époux depuis longtemps, elle vit une passion coupable avec un vétérinaire (Jean-Hugue Anglade) qui l’aime comme un fou. Le fils, Claudio, ne va pas mieux malgré sa réussite professionnelle. Il a beau être avocat, il ne sait pas plaider sa cause auprès de sa famille. A sa mère qui croit aux valeurs chrétiennes et à ses soeurs qui ne s’occupent que d’elles, il cache son homosexualité que lui-même vit plutôt mal. Son ami, par inadvertance mettra les feux aux poudres.
Pendant ce temps, la nouvelle génération apprend aussi à grandir. Marco, en l’absence du père, a longtemps pris son oncle Claudio en exemple et ne comprend pas pourquoi sa mère l’empêche de le voir. La première fille de Rita, Silvia, vient de rater ses examens et s’apprête à vivre sa première relation amoureuse tandis que la cadette, Chiara, est atteinte d’une petite crise mystique à l’approche «du plus beau jour de sa vie».
La structure du film de Cristina Comencini s’apparente à un docu-soap tant on rêve de suivre ces personnages sur leur durée. D’ailleurs, et c’est la force du film, tous semblent exister en dehors du cinéma, tous semblent avoir pris le film en cours, être monté dedans parce qu’une caméra était là. En l’occurrence celle de Chiara, la cadette sentinelle, qui enregistre les turbulences de sa famille et les derniers instants de ses parents encore ensemble, pour s’en souvenir plus tard, pour créer de la mémoire, pour éviter d’idéaliser le passé.
Film chorale soucieux du moindre détail, «Le plus beau jour de ma vie» traite les trois générations avec le même soin, la même vérité (le scénario a été coécrit avec des adolescents), laissant à chaque personnage sa liberté et ses secrets. Même les animaux, deux chiens et leurs petits, ont droit à leur partition, loin de toute sentimentalité ou mièvrerie. Le dernier quart d’heure, particulièrement secouant, tisse de beaux liens entre les différents personnages. Et si certains secrets de famille sont exorcisés, Cristina Comencini se garde bien de les résoudre. Le film ne raconte pas une thérapie de groupe mais un moment privilégié dans l’histoire d’une famille, appelée à se faire encore bien du mal et bien du bien.