LATITUDES

Jusqu’à 80% d’échec: Genève a mal à son école

Les résultats semestriels des écoles post-obligatoires viennent de tomber. Et ils ne sont pas bons. Les enseignants incriminent le regroupement des filières secondaires et la baisse générale des exigences.

Les enseignants genevois sont inquiets. En particulier ceux du secondaire (appelé «cycle d’orientation» dans le canton), car leurs anciens élèves obtiennent des résultats catastrophiques dans la suite de leur parcours. Les évaluations semestrielles viennent de tomber. Dans la filière Ecole de Commerce, près de 68% des anciens élèves du Cycle de Sécheron sont en situation d’échec. Le pourcentage d’élèves non promus à la fin du premier semestre atteint même 80% dans l’une des classes.

Dans les couloirs, on ne parle plus que de ça. «Le cycle est en train de couler, résume dans un soupir Olivier Newell, professeur de mathématique à Sécheron depuis 15 ans. Ces chiffres catastrophiques ne devraient pas surprendre, car le niveau du secondaire ne cesse de baisser. Les exigences se relâchent chaque année un peu plus: on veut faire de l’école quelque chose de ludique, sans contrainte. C’est un immense gâchis de potentiel pour les jeunes.»

En filière gymnasiale, les taux d’échec demeurent moins importants qu’en Ecole de commerce, mais ils sont aussi en nette progression: sur l’ensemble des établissements genevois, 34,1% des élèves sont actuellement non promus à la fin du premier semestre. En guise de comparaison, il y a dix ans, le taux d’échec à la fin de la première année ne dépassait pas 25,9%.

Pour expliquer cette progression, les pistes sont nombreuses. Les professeurs accablent le regroupement en deux catégories «hétérogènes» A et B des anciennes filières classique, scientifique et moderne. D’autant que le timing correspond puisque les élèves qui viennent d’arriver en post-secondaire sont les premiers à avoir subi ce regroupement. «Les classes hétérogènes ont comme conséquence une baisse générale de niveau, c’est visible, analyse Christine Desaules, enseignante au cycle d’orientation. Dans une classe de 7e année, j’ai dû inscrire l’alphabet au tableau car une grande partie des élèves ne le savaient pas par cœur. Du jamais vu.»

Outre le regroupement, de nombreux professionnels regrettent l’absence de politique sélective en secondaire. «La volonté générale, c’est de ne plus faire redoubler les élèves au Cycle, constate Roland Jeannet, directeur du collège André Chavanne. Du coup, les normes d’admission au Collège se sont assouplies: avec trois insuffisances, l’élève peut encore entrer, alors que la limite était fixée à deux auparavant.»

«Le Cycle ne joue plus son rôle d’orientation, renchérit Olivier Newell. Car un prof ne peut pas montrer à sa direction un taux d’échec de 50% dans sa classe, alors il baisse le niveau d’exigence, c’est mathématique. Je ne connais pas un seul prof qui pourrait faire passer à des élèves aujourd’hui une épreuve d’il y a dix ans.»

«Si l’évolution se confirme cette année et la suivante, nous réfléchirons à réévaluer les normes de passage entre le niveau 9 et 10, répond Georges Schürch, directeur général du cycle d’orientation. Et aussi le fait que les moyennes exigées pour le passage d’une section à l’autre se calculent toutes branches confondues: un élève peut compenser en gymnastique ou en histoire une insuffisance en mathématique ou en français.»

La non-sélection en fin de Cycle force le Collège, plus tard dans le parcours scolaire, à jouer le rôle d’aiguillage. «Certains élèvent doivent se mettre en situation d’échec au Collège pour réaliser s’ils veulent travailler davantage ou chercher une autre voie, analyse Marianne Extermann, directrice générale de l’enseignement post-obligatoire. Il y a un travail pédagogique à faire pour valoriser de nouvelles filières comme les HES. Les parents connaissent souvent mal ces possibilités et poussent systématiquement leurs enfants au Collège.»

Quoi qu’il en soit, à la tête du département, on préfère dédramatiser pour l’instant. «Il ne s’agit que de résultats semestriels, dit Marianne Extermann. C’est vrai que certains de ces chiffres sont préoccupants, mais certains élèves commencent mal leur année et se rattrapent ensuite. Il nous faudra au moins deux volées pour tirer des conclusions. Donc nous ne changerons rien au système avant la rentrée 2006.»

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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 12 février 2004.