De nombreuses entreprises étrangères pourraient inspirer des initiatives entrepreneuriales en Suisse. Présentation de cinquante pépites, commentées par un panel d’experts.
Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans PME.
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Dossier réalisé avec Carole Berset, Julien Crevoisier, Erik Freudenreich et Blandine Guignier
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Durabilité et innovation rythment la création d’entreprise à travers le monde. Des États-Unis à l’Allemagne en passant par les pays scandinaves, les entreprises redoublent d’ingéniosité pour répondre à des problématiques actuelles comme la lutte contre le gaspillage alimentaire, la généralisation des plateformes en ligne, et l’essor de l’intelligence artificielle. Toutes inspirent par leur audace et ont su trouver leur public, mais n’existent pas en Suisse.
Crèches intergénérationnelles, crédits carbone pour les agriculteurs, e-sport ou encore services de tourisme immersifs: ces projets venus de l’étranger permettent d’insuffler de nouvelles idées aux créateurs d’entreprise. Soigneusement sélectionnées pour leur potentiel, ces pépites ont toutes en commun de bouleverser le statu quo. Certaines existent peut être déjà sur le territoire mais pourraient être améliorées et précisées. Les 50 idées sont commentées par des spécialistes de l’entrepreneuriat. Issus des Hautes écoles, d’incubateurs, d’organismes d’aide à la création d’entreprise, ou encore d’Universités de Suisse romande, ces experts donnent leur avis éclairé sur ces entreprises, leurs forces, leurs défauts et les défis inhérents auxquels être attentif pour les déployer en Suisse. Saurez-vous relever le défi?
1- Assurance personnalisée des PME
Avec déjà 16 millions de fonds levés depuis sa création en 2021, la start-up française Orus a su séduire les investisseurs. La société, qui s’adresse aux très petites à moyennes entreprises, leur permet de s’assurer complétement en ligne, en cinq minutes. Elle a déjà convaincu quelque 5’000 clients avec son premier produit, testé auprès des restaurateurs, puis élargi à d’autres types de PME. Les garanties proposées sont modulables et adaptées aux différents métiers. L’entreprise de 25 collaborateurs entend aussi proposer le moins de contraintes possibles et des prix abordables.
Nathalie Nyffeler: «Cette start-up est vraiment intelligente puisqu’elle a ciblé en premier lieu les restaurateurs qui sortaient de la crise Covid et les entreprises de moins de 50 employés. Ce marché est conséquent (Orus cible les 24 millions de TPE/PME de l’Union européenne) et souvent un peu délaissé par les assureurs traditionnels. Grâce à l’intelligence artificielle, la société simplifie les processus et peut offrir des garanties à la carte, qui peuvent aussi correspondre au chiffre d’affaires. Transposer ce projet en Suisse me semble une bonne idée puisque le pays présente des volumes intéressants. En comptant seulement les micro-entreprises, on comptabilise plus de 540’000 clients potentiels.»
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2- Garderie de valise
Que faire de sa valise lorsqu’on se balade en ville? La start-up danoise LuggageHero a développé le concept de bagagerie collaborative. Le concept: des magasins, des cafés, des hôtels, deviennent partenaires du réseau pour fournir une bagagerie sécurisée. Ils s’adressent notamment aux voyageurs qui choisissent la location entre particuliers, à l’instar d’Airbnb, et qui doivent rendre leur location sans pouvoir laisser leurs bagages. Le montant par sac est soit un prix forfaitaire de cinq euros par jour soit un tarif de 0,95 euro par heure.
Gladys Winkler Docourt: «J’imagine tout à fait ce concept dans les grandes villes suisses. Développer la plateforme n’est pas compliqué techniquement, il faut par contre créer un réseau de confiance, et donc avoir quelqu’un qui se rend régulièrement sur place pour vérifier le bon fonctionnement des partenariats.»
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3- Crèches intergénérationnelles
Tom&Josette est une start-up française qui implante des micro-crèches dans des lieux de vie destinées aux personnes âgées, tels que les EMS ou les résidences séniors. Le principe: faire cohabiter les générations. Lecture de contes, goûter, jardinage: les activités partagées sont organisées et supervisées par les équipes de l’entreprise créée en 2021. Les jeunes apportent ainsi énergie et joie de vivre alors que les personnes âgées leur transmettre leur expérience et leur bienveillance.
Anne Headon: «Ce projet d’innovation sociale est fascinant et vertueux. Il résout deux problèmes majeurs: le manque de place d’accueil pour les jeunes enfants, et celui de l’isolement et du manque de sens ressenti des personnes âgées en EMS. Ces projets sont cependant difficiles à mettre sur pied et à financer. Il faut aussi faire attention à la notion de proximité: l’intégration au niveau local, auprès d’une communauté existante est essentielle. En Suisse, il faudrait prendre le temps d’aller voir sur le terrain pour choisir la communauté adéquate.»
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4- Lancer des défis architecturaux
Créé au Honduras, Bhauss offre une plateforme pour les architectes et les designers d’intérieur. Les 550 professionnels d’Amérique latine qui y sont inscrits se font ainsi connaître, et répondent aux demandes d’interventions de particuliers. Ces derniers peuvent, dans un système basé sur l’IA, préciser leurs besoins et goûts, à l’aide d’un «MoodBoard». Sur cette base, ils lancent un défi à la communauté du site et reçoivent ensuite des propositions.
Nathalie Nyffeler: «Cette entreprise a reçu des prix en Amérique centrale et son idée est intéressante. Néanmoins, pour la transposer en Suisse, il faudrait une autre source de revenu qu’un paiement de la part des designers ou des clients. Je crains que le marché des personnes pouvant se payer ce type de services soit trop restreint chez nous. On pourrait cependant imaginer des partenariats avec plusieurs chaines de magasins qui proposeraient, en un même lieu, leurs produits de décoration, d’ameublement ou d’aménagement.»
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5- Quand l’IA réduit le gaspillage alimentaire et améliore la santé
Fondée en 2018, la start-up coréenne Nuvilab a développé un scanner qui allie analyse des déchets alimentaires et de la consommation. Basée sur l’intelligence artificielle, la solution entend améliorer la gestion des restes dans les cantines des hôpitaux, des hôtels et des écoles. Après avoir scanné leur assiette, les consommateurs peuvent aussi recevoir un suivi de leurs habitudes alimentaires sur une application mobile.
Pauline Musy: «Tout projet qui contribue à réduire le gaspillage alimentaire – qui représente 14% des déchets en Suisse – sans demander d’efforts supplémentaires aux employés ou consommateurs est intéressant. Mais des poubelles intelligentes, qui scannent les aliments jetés, existent toutefois déjà sur le marché.»
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6- Le capital-risque de la transition énergétique
Basé à Berlin, Vireo Ventures s’est fixé pour objectif d’accélérer la numérisation, la surveillance et la gestion intelligente des systèmes énergétiques. Approvisionnement en énergie, mobilité, transports, bâtiment et industrie: la société de capital-risque investit exclusivement dans des start-up européennes qui développent des technologies B2B. Le fonds a obtenu 20 millions d’euros du Fonds européen d’investissement (FEI) en 2023.
Felix Stähli: «Ce type de fonds est nécessaire pour mener la transition énergétique dans le monde. En Suisse, nous avons la chance d’avoir des acteurs privés et publics qui impulsent les dynamiques nécessaires et investissent déjà dans des technologies en faveur de la transition énergétique. Aujourd’hui, des projets à vocation sociale en biodiversité ou inclusivité, par exemple, avec un faible taux de rentabilité, pourraient d’autant mieux bénéficier de ce type de réseaux d’investissement propres.»
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7- L’opticien virtuel
Plutôt que de prendre rendez-vous chez un opticien, de se déplacer jusqu’à son cabinet pour prendre les mesures, pourquoi ne pas profiter de l’intelligence artificielle pour simplifier le processus et surtout l’effectuer entièrement depuis le confort de son domicile? L’offre émane de l’entreprise Lenscope, une spin-off de l’Université de Campinas, au Brésil créée en 2015. Sur le site internet, le client sélectionne son degré de déficience visuelle. À l’aide de photos prises par smartphone, le logiciel mesure ensuite la distance entre les pupilles et propose un choix de montures de lunettes adaptées. La formule permettrait non seulement d’obtenir des résultats plus précis grâce à l’IA mais aussi de réduire jusqu’à 70% le prix d’une paire de lunette de vue.
Philippe Gaemperle: «Difficile de pénétrer le marché suisse des opticiens compte tenu du nombre d’acteurs qui semblent encore très rentables. Le consommateur suisse accorde souvent une plus grande importance à la qualité du service. Il pourrait donc se révéler compliqué de l’amener à acheter ses lunettes sur internet. Néanmoins, la compétitivité des prix est un aspect qui joue en faveur de la start-up.»
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8- Les colonies de vacances pour chiens
Mettre son chien dans un chenil pour les vacances? Hors de question pour Dog Scouts of America. Basé dans le Michigan aux États-Unis, l’organisme organise des colonies de vacances pour les chiens. Objectif: que le chien ne soit pas seulement «gardé» alors que ses maîtres sont absents, mais qu’il profite aussi d’une expérience éducative, au prix de 750 dollars la semaine. Une autre variante consiste en un camp pour chien et enfant, dans lequel le jeune et son animal de compagnie apprennent les fondamentaux du scoutisme ensemble.
Anne Headon: «Les sociétés occidentales ont de moins en moins d’enfants, et les animaux de compagnie, notamment les petits chiens, prennent une place similaire à celle d’une enfant dans les foyers urbains. Au Japon par exemple, certains les déplacent dans des landaus. Ces propriétaires sont donc prêts à dépenser des sommes importantes pour le bien-être de leur animal. Cette idée a donc du potentiel à terme, sur une forme peut-être un peu différente en Suisse.»
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9- App pour des services beauté à domicile
L’application française Simone réunit en une seule plateforme tous les services de beauté à domicile disponibles dans une région. Coiffeurs, esthéticiennes, masseurs, expertes en manucure, les indépendants proposent leurs services 7 jours/7. Il devient ainsi possible de se faire couper les cheveux tôt le matin, en fin de journée ou bien à la pause de midi pour les télétravailleurs. Le prépaiement se fait en ligne et est facturé seulement après le rendez-vous.
Gladys Winkler Docourt: «Cette application pourrait plaire aux femmes et aux hommes qui ont peu de temps libre et une vision utilitaire des soins. Ils doivent se faire couper les cheveux, épiler les sourcils, mais n’ont pas le temps de se rendre dans un salon. Il faut néanmoins vérifier le cadre légal de ces prestations pour garantir des conditions de travail correctes, soit en salariant ces prestataires, soit en prévoyant un contrat spécifique. L’entreprise doit aussi veiller à n’avoir que des profils de professionnels vérifiés sur son site, c’est un gage de sécurité essentiel pour que le client accepte d’accueillir un prestataire à son domicile. Les fournisseurs de soins devraient quant à eux être formés à reconnaître les situations potentiellement dangereuses pour leur sécurité.»
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10- Vente et location de camionnettes durables
L’entreprise madrilène «Alquiler Sostenible» («Louer durable») propose aux PME des véhicules électriques à louer au mois ou à l’achat. Ces camions et camionnettes sont de seconde main. La société propose aussi des services de location de chauffeur, de chargement et déchargement, de formation, ainsi que de transformation au gaz de moteurs de camions.
Virginie Bauman: «Ce concept est un joli exemple d’économie circulaire et répond clairement à un besoin croissant de solutions respectueuses de l’environnement. Le fait de renforcer le modèle d’affaires grâce aux services de support et de maintenance me semble intéressant. Les défis selon moi concernent l’acquisition et le maintien d’un parc de véhicules de seconde main, et la gestion de fin de vie des batteries. Il faut que l’infrastructure de recharge et la maintenance offrent une solution pratique à grande échelle pour les PME clientes. Il faut aussi veiller à ne pas se disperser en services annexes. Par ailleurs, un tel modèle demande un apport initial important.»
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11- Un lieu permanent d’art immersif
Van Gogh, Mondrian, Tintin: les spectacles son et lumière se développent en Europe, notamment pour les expositions d’art. En France, les Carrières des Lumières accueillent sur leur site en moyenne 770’000 visiteurs par an.
Christina Hertel: «Comme ces spectacles mêlent musique, narration et effets visuels, ils créent des expériences uniques pour des publics très divers. Ces installations, qui ne dépendent pas des conditions météorologiques et sont utilisables toute l’année, seraient pertinentes pour les régions de montagne (la Suisse romande ne dispose que de lieux de projection éphémères pour l’instant). Cela pourrait aider les stations confrontées aux aléas du changement climatique. Cependant, pour captiver le public, surtout à long terme, le contenu du spectacle doit être de grande qualité. En outre, l’équipement nécessaire est très coûteux, et le lieu doit être adapté.
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12- Engranger de l’argent avec ses données
Être payé pour regarder la publicité. C’est le principe développé par la start-up Kubik Data. Fondée en 2019, l’entreprise espagnole promet un meilleur taux de conversion à ses clients et de reverser jusqu’à 50% de ses revenus à ses utilisateurs. Le principe? Les internautes détaillent diverses données personnelles à la plateforme de manière anonyme. L’application les met alors en relation avec les campagnes pour lesquelles ils constituent le public cible approprié. En phase de test, le service a su séduire des annonceurs tels que Logitech ou Samsung.
Eric Davoine: «On peut imaginer qu’une telle offre fonctionne bien auprès des jeunes, avec des produits qui correspondent à une mode ou une nouveauté. Mais est-ce qu’on peut motiver des gens qui disposent d’un pouvoir d’achat conséquent de regarder de la publicité?»
13- Guide touristique pour des vacances avec son chien
Que ce soit dans les lieux touristiques, les hôtels ou les restaurants, les chiens ne sont pas toujours les bienvenus. Créés en 2018, les guides «Chien voyageur» listent les endroits «dogs-friendly» dans différentes régions de France comme la Haute-Savoie, la Bretagne ou le Jura. Ces livres proposent également des adresses de gardiennage à la journée ou à demi-journée.
Gladys Winkler Docourt: «Le marché cible est ici extrêmement concentré: ce sont les propriétaires de chien qui veulent partir en vacances avec leur animal. Le travail de recherche en amont est considérable. Il faudrait tester l’idée au niveau local, par exemple à l’échelle des cantons, ou alors trouver des partenariats pour intégrer cette partie animalière à des guides touristiques déjà bien établis.»
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14- Abonnement hôtelier pour nomades digitaux
L’entreprise Selina, créée au Panama en 2014 et basée à Londres, propose aux voyageurs et aux digital nomads de séjourner dans les auberges de jeunesse de son groupe pour un forfait d’un, de deux ou trois mois. Les hôtels situés sur tous les continents offrent un espace de coworking et des activités pour travailler et se détendre, mais aussi pour sociabiliser. Les utilisateurs peuvent changer deux à trois fois de sites durant la période.
Nathalie Nyffeler: «Avec la pandémie et la hausse du travail à distance, le nombre de travailleurs nomades a fortement augmenté, créant de nouvelles opportunités. Depuis, de nouvelles contraintes ont toutefois vu le jour, avec par exemple des obligations d’être présents dans le pays durant le télétravail. L’offre de Selina est séduisante, mais je développerais cette idée en Suisse auprès d’un autre type de clientèle, bien représentée ici, celle des seniors actifs.»
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15- Numériser les banques alimentaires
Fondée en 2020, Naria a développé un système de suivi basé sur la blockchain destiné aux banques alimentaires. La technologie permet d’enregistrer chaque mouvement des surplus alimentaires générés par les entreprises afin de les acheminer ensuite vers des organisations sociales qui les redistribuent aux plus démunis. La start-up espagnole a aussi mis au point un dispositif pour que les donateurs puissent acheter numériquement de la nourriture par kilo via une application mobile ou des écrans dans les supermarchés. Convertis sur un compte de la banque alimentaire, ces dons sont attribués aux bénéficiaires sous forme de «cartes-portefeuille». Un processus qui ne nécessite aucune logistique de transport. Naria collabore notamment avec la Croix-Rouge et des entreprises privées.
Felix Stähli: «En Suisse, 30% de la nourriture est gaspillée, notamment car tout ce qui n’est pas traçable et qui manque d’identification devient automatiquement un déchet. Utiliser la technologie blockchain pour assurer la traçabilité des produits à chaque étape de production et de consommation est donc une idée très séduisante qui s’inscrit dans une économie durable. Un tel projet permettrait de contribuer à réduire le gaspillage dans un but communautaire.»
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16- Realword, mode d’emploi pour la vie d’adulte
Gérer un budget, remplir sa déclaration d’impôts, souscrire à un 3ème pilier: ces démarches incontournables de la vie d’adulte sont rarement expliquées aux jeunes actifs, et peuvent rapidement tourner au cauchemar administratif lorsqu’on y est mal préparé. La plateforme américaine Realworld veut guider ses utilisateurs dans la vie d’adulte. Les abonnements coûtent entre 5 et 10 dollars par mois. Aux États-Unis, l’offre lancée en 2018 a déjà séduit plus de 125’000 personnes.
Vincenzo Pallotta: «Pour une plateforme qui s’adresse aux jeunes, l’interface me paraît un peu simpliste, voire surannée. L’offre peut toutefois être intéressante pour s’adresser à des personnes plus âgées qui auraient besoin d’un accompagnement dans leur gestion financière ou sur d’autres aspects de la vie quotidienne.»
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17- Sponsoriser un créateur de contenu et partager son succès
Au travers de la société Gigastar, les fans peuvent investir dans leurs créateurs de contenu Youtube favoris. Ils soutiennent ainsi la croissance de la chaîne et toucheront en retour un pourcentage sur les revenus que celle-ci engendrera à l’avenir. Ils bénéficient aussi d’avantages spéciaux et d’un accès privilégié à leur «star». Fondée en 2022 à Chicago, l’entreprise a réalisé une première levée de fonds de 4,8 millions de dollars pour se développer.
Christina Hertel: «Ce concept est novateur et prometteur, car il s’inscrit dans un secteur en plein essor. Goldman Sachs estime que l’économie des créateurs de contenu pourrait approcher les 480 milliards de dollars d’ici 2027. Ce modèle transforme les fans en parties prenantes, en leur donnant le sentiment d’être propriétaires de leur contenu favori. Le concept de partage d’un pourcentage des revenus futurs d’une chaîne avec des investisseurs ajoute une incitation financière. Il démocratise aussi l’accès à l’investissement parmi les créateurs, ce qui est essentiel pour eux étant donné que seuls 12% des créateurs à temps plein gagnent plus de 50’000 dollars par an. Compte tenu du nombre élevé de consommateurs avertis et férus de technologie en Suisse, un tel modèle a du potentiel dans notre pays.»
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18- Un bar self-service connecté pour festivaliers
Victimes de leur succès, les festivals voient régulièrement leurs bars pris d’assaut, ce qui entraîne une congestion et de l’attente. Conséquence: les festivaliers ne se servent qu’une ou deux fois alors que 70% d’entre eux auraient voulu se servir davantage, selon la société française Drinkee. Fondée en 2021, cette dernière a mis au point une solution de bars self-service connectés pour optimiser la vente de boissons en festival et réduire les files d’attente. Lors du dernier tournoi de Roland-Garros, plus de 28’000 bières ont été vendues via un de ces distributeurs (13’500 litres).
Virginie Bauman: «Ici on ne réinvente pas la roue au niveau du produit, mais on innove du côté du service. En termes de désirabilité pour les consommateurs, c’est sûr que l’idée est intéressante. D’autant plus que l’entreprise présente des chiffres qui attestent du succès de sa solution, qui a l’air bien rodée. Il y a certes un enjeu de technologie à mettre au point et des investissements à prévoir pour l’acquisition du bar et garantir une expérience utilisateur sans heurts. Reste la question de savoir si l’on veut vraiment encourager la consommation d’alcool de cette manière, d’autant plus qu’enlever le facteur humain réduit les garde-fous.»
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19- «Matchmaking» d’emballages
L’entreprise lettonne PrintOnPack entend révolutionner l’achat des emballages. Créée en 2020 et financée un an plus tard à hauteur de 450’000 euros par un fonds suédois, cette plateforme permet de rechercher en ligne l’emballage idéal, avec notamment des options de matériaux durables, tels que des paquets recyclés ou biodégradables. Elle a intégré plus de 120 fournisseurs d’emballages souples, afin de donner aux consommateurs des informations transparentes sur les prix et les lieux de production.
Christina Hertel: «Une telle offre se révèlerait certainement précieuse pour les PME proposant des produits artisanaux, qui sont toujours plus nombreuses en Suisse. La recherche d’un fournisseur, en particulier pour des petites quantités, prend beaucoup de temps. Bien qu’il existe déjà des bases de données en la matière, celles-ci sont généralement statiques et laissent toujours aux petits producteurs le fardeau d’identifier et de contacter les entreprises pertinentes. Une telle plateforme pourrait changer la règle du jeu en demandant aux producteurs qu’ils fassent des offres, comme cela se fait dans le cadre des plateformes “Get your lawyer” ou “Upwork”. Un guichet unique qui inclurait en plus les designers et graphistes serait encore plus pertinent. Le défi serait toutefois de convaincre tous les acteurs de l’emballage d’utiliser le service, même les plus traditionnels.»
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20- Des bâtiments durables à partir de déchets plastiques
Spécialisé dans l’upcycling, Kubik fabrique des matériaux de construction à base de plastiques recyclés. Présente au Kenya et en Éthiopie, la start-up retire 45’000 kg de déchets par jour, qu’elle transforme en produits à faible teneur en carbone, qui émettent nettement moins de gaz à effet de serre que le ciment. La start-up prévoit de doubler sa production (10’000 logements par an aujourd’hui) grâce à un cycle de financement d’amorçage de 3,34 millions de dollars clôturé en 2023.
Felix Stähli: «Le plastique est souvent utilisé pour la fabrication de produits à usage unique. Or, les propriétés de ce matériau sont idéales pour la construction de bâtiments plus durables. C’est très inspirant de voir qu’une solution qui répond au problème de recyclage de ces matériaux est déjà en circulation dans notre économie. Ceci favorise un accès au logement pour tous sans passer par la déforestation. Reste à savoir si la population suisse est prête à ce changement, ou s’il ne s’agira que de bâtiments d’utilité publique.»
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21- Taxi en covoiturage
Sur une seule interface, la plateforme Grab propose différents modes de transport allant de la voiture avec chauffeur privé (GrabCar) à la voiture partagée avec d’autres utilisateurs pour diviser les frais, à la manière d’un covoiturage (GrabShare). Première licorne d’Asie du Sud-Est, la firme singapourienne a désormais ajouté la livraison de plats cuisinés, mais aussi de courses alimentaires, ou encore de colis postaux.
Vincenzo Pallotta: «Cette plateforme s’est distinguée en visant des marchés émergents spécifiques. La possibilité d’utiliser ces services tout en payant les prestations en liquide constitue par exemple un atout en Asie du Sud-Est, où de nombreuses personnes n’ont pas de carte de crédit. En Suisse, les offres de service d’entrée-de-gamme ont néanmoins de la peine à trouver un écho auprès du public. Une majorité de la population possède sa propre voiture et peut toujours compter sur un réseau de transports publics de qualité. Le marché des VTC s’adresse plutôt à une clientèle haut-de-gamme, composée notamment de touristes et d’hommes d’affaires.»
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22- Des crédits carbone pour encourager l’agriculture durable
Depuis 2016, eAgronom soutient les agriculteurs qui souhaitent adopter des méthodes de production durables. Après avoir mesuré l’empreinte carbone de l’exploitation, la start-up estonienne établit un plan de durabilité, qu’elle subventionne en partie grâce à des crédits carbone calculés sur la base des réductions d’émissions de CO2 et de l’augmentation des niveaux de carbone dans le sol. Présente dans sept pays, eAgronom est a levé 5 millions de dollars en 2023.
Felix Stähli: «Les projets à impact écologique ou social, dont le retour sur investissement reste plus faible ou plus lent, n’accèdent pas facilement à des financements. Cette solution semble donc particulièrement prometteuse. Si l’État est convaincu de la pertinence du projet, l’apport de subventions de sa part permettrait de pallier ce manque. Dans le domaine, les solutions venues de l’étranger n’ont, jusqu’ici, trouvé que peu d’écho en Suisse.»
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23- Régler l’addition plus rapidement
Marre d’attendre que l’addition soit amenée à votre table? L’application Sunday, développée en France en 2021, permet de régler rapidement la note grâce à un QR code installé sur la table. Les plats commandés sont enregistrés, et le client peut régler dès qu’il le souhaite. Le service permet aussi de diviser l’addition plus facilement. Les tables sont ainsi plus rapidement libérées, ce qui favorise le remplissage de l’établissement.
Anne Headon: «Nous avons déjà tous vécu cette situation d’attendre l’addition au restaurant. Le secteur de la restauration est déjà très concurrentiel: seules quelques apps arrivent à devenir une référence, les autres sont rapidement oubliées. La clientèle – les restaurants – se compose de nombreux petits acteurs, qu’il peut être difficile de convaincre. Le coût d’acquisition client, soit le montant moyen dépensé par une entreprise pour acquérir un nouveau client, est donc important. Une piste intéressante pourrait être de s’associer avec une autre entreprise, qui propose aussi un service aux restaurateurs, afin de proposer en collaboration une seule solution intégrée pour devenir le “one stop shop”.»
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24- Optimiser les liens entre les fournisseurs et les restaurateurs
Choco est une start-up franco-allemande qui met en relation les restaurants et les fournisseurs, avec une solution digitale tout-en-un. Une innovation dans un secteur qui fonctionne encore largement par email et par téléphone. Gratuite pour les restaurateurs, l’app permet de passer commande sur une seule interface, ce qui offre plus de lisibilité, une meilleure rationalisation et donc moins de surplus. Pour les grossistes, les commandes sont immédiatement enregistrées, ce qui améliore l’efficacité, réduit les erreurs, et permet de pousser la vente des produits restants. Pour les deux parties, l’app permet ainsi de faire des économies et limite le gaspillage alimentaire. Si le fournisseur habituel n’y figure pas, l’application convertit automatiquement la commande en email ou SMS. Lancée en 2018, la start-up a accédé au statut de licorne en 2022 en levant plus de 100 millions d’euros.
Gladys Winkler Docourt: «Regrouper en une application plusieurs services facilitant le quotidien des restaurateurs constitue une idée prometteuse caractéristique de l’économie du 21ème siècle. Améliorer ce lien contribue à limiter le gaspillage, et permet aux fournisseurs de vendre plus précisément leurs marchandises. C’est une situation où tout le monde est gagnant. Néanmoins, au niveau local, le lien physique et amical avec les fournisseurs restera probablement, notamment dans la restauration haut-de-gamme.»
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25- Le Uber des artisans
Place de marché en ligne pour plombiers et électriciens, Porch permet de comparer différents prestataires de service et de faire appel à eux. La plateforme permet non seulement de sélectionner les meilleurs services mais aussi aux meilleurs prix grâce à un indicateur dynamique des moyennes tarifaires par type de service. En 2020, huit ans après sa création, l’entreprise américaine est entrée en bourse et figure désormais sur les listes du Nasdaq. En 2022, Porch annonçait 275,9 millions de dollars de chiffre d’affaire, en hausse de presque 43% depuis l’année précédente.
Philippe Gaemperle: «Une telle plateforme semble très intéressante pour les clients comme pour les prestataires de service, à qui elle offre une vitrine. Du fait de la fragmentation du marché suisse, il faudrait que l’entreprise se concentre sur un périmètre bien précis, par exemple l’Arc jurassien, et développe des partenariats avec l’aide des pouvoirs publics.»
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Expertes et experts
- Anne Headon, directrice du HUB Entrepreneuriat et Innovation de l’Université de Lausanne
- Gladys Winkler Docourt, directrice de Creapole à Delémont (depuis janvier 2024)
- Pauline Musy, coach en développement d’entreprise au sein de l’association Fri Up, Fribourg
- Philippe Gaemperle, coach en développement d’entreprise et responsable du service coopération au sein de la plateforme d’innovation Platinn, Neuchâtel
- Nathalie Nyffeler, responsable Innovation & Entrepreneuriat à la Haute École d’ingénierie et de gestion du canton de Vaud (HEIG-VD)
- Felix Stähli, co-fondateurs d’Impact Hub à Lausanne
- Christina Hertel, professeure assistante, Institute of Management, Geneva school of economics and management, Genève
- Eric Davoine, professeur titulaire de la chaire de ressources humaines et organisation à l’Université de Fribourg
- Virginie Bauman, coach en développement d’entreprise chez Genilem, Genève
- Vincenzo Pallotta, professeur en management et en innovation à la HES-SO et à la HEIG-VD
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Retrouvez la deuxième partie du dossier demain.