KAPITAL

Biwi, l’arme secrète de l’horlogerie haut de gamme

Fondée il y a 40 ans, la firme jurassienne spécialisée dans les bracelets en caoutchouc, produit aujourd’hui tous types de composants pour l’industrie horlogère. Entre la formation des jeunes et la recherche de matériaux innovants et durables, la société se diversifie pour assurer sa pérennité.

Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans PME.

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«Nos 40 ans d’expérience nous ont montré que le succès d’un produit n’est pas éternel, c’est pourquoi je cherche à me projeter vers l’avenir.» À 34 ans, Pascal Bourquard dirige l’entreprise familiale Biwi depuis 2018. Spécialiste du caoutchouc et des matériaux technologiques injectés, l’entreprise doit sa réussite à son évolution et à son anticipation des grands changements du marché. Biwi a commencé à commercialiser des joints d’étanchéité, puis des tétines de biberons dans les années 1980, avant de passer aux billes de souris d’ordinateur pour Logitech, puis de s’illustrer en obtenant le mandat de la Confédération pour la confection des cartes d’identité, mandat par ailleurs toujours en cours. À l’époque, l’entreprise était dirigée par Pascal Bourquard Sr, le père, qui a lui-même repris les commandes de l’affaire familiale créée par le patriarche Pierre Bourquard.

Dans les années 2000, Biwi croise le chemin de l’industrie horlogère et commence à mettre ses compétences en matière de moulage au service des grandes marques de montres de luxe. Audemars Piguet, Richard Mille ou encore Hublot, les manufactures prestigieuses sont séduites par les matériaux innovants développés sur le site de Glovelier (JU). Les composants et les caractéristiques sont des secrets bien gardés par l’entreprise, mais Biwi avoue avoir connu une croissance fulgurante dès le milieu des années 2010. Cette croissance persiste encore aujourd’hui malgré la période de sous-régime traversée par l’industrie horlogère pendant la crise sanitaire.

Pénurie de main d’œuvre

De 115 collaborateurs en 2016, le volume du personnel de Biwi a triplé pour atteindre 345 employés en 2023. Sans donner de chiffre précis sur son chiffre d’affaire, Pascal Bourquard Jr admet que «le volume des ventes et la taille du personnel ont évolué au même rythme». La PME jurassienne peine cependant à recruter. «Dans le secteur technique, trouver les compétences nécessaires se révèle de plus en plus difficiles.» Une situation qui n’étonne pas Olivier Müller, spécialiste de l’horlogerie et fondateur du cabinet de conseil LuxeConsult: «L’arc jurassien et la région genevoise, les traditionnels berceaux de l’horlogerie, souffrent d’un véritable assèchement de la main d’œuvre. Certaines grandes marques horlogères décident de chercher en dehors de ces zones historiques pour trouver les compétences dont elles ont besoin, dans le canton de Fribourg notamment.»

Très ancrée en terre jurassienne, l’entreprise de la Haute-Sorne cherche quant à elle à créer l’engouement et la vocation chez les jeunes générations. «Nous proposons des places d’apprentissage mais n’avons pas suffisamment de candidatures pour les postes techniques», déplore le directeur. Début 2023, l’entreprise a fait l’acquisition de nouveaux locaux de 3’000 m2 à côté de son usine actuelle afin d’augmenter sa production mais aussi d’inaugurer en 2024 une académie de formation. Objectif: permettre à des jeunes de tout âge de lancer leur projet d’entreprise en les accompagnant sur le plan financier comme sur le plan technique, mais aussi d’offrir des formations continues aux employés sur site.

Pièces uniques

Aujourd’hui, l’entreprise assume son rôle de sous-traitant mais ne souhaite pas s’y limiter. «Nous employons plus de vingt personnes dans notre équipe de recherche et développement afin de proposer des innovations directement aux clients et ainsi participer activement au design du produit final.»

L’industrie horlogère du luxe s’oriente de plus en plus vers la production de pièces en petits volumes, voire pièces uniques, plutôt que vers la production en série. Biwi a su profiter de cette évolution en développant des chaînes de production capables de répondre à cette demande exigeante de façon rentable. Une stratégie payante selon l’expert Olivier Müller: «S’agissant des modèles proposés par des marques comme Richard Mille, où le prix des modèles peuvent s’élever à plusieurs centaines de milliers de francs, la clientèle sera bien souvent prête à s’acquitter de quelques milliers de francs supplémentaires pour une pièce unique.»

Les bracelets font partie de la réputation de la marque Biwi, mais «ne sont que la pointe de l’iceberg», selon le directeur. «Nous sommes aujourd’hui capables de concevoir également des cadrans, des couronnes, des poussoirs, avec nos propres outils et donc 100% swiss made. Presque une montre entière, à l’exception de la mécanique de mouvement.»

Diversification et éco-responsabilité

Aujourd’hui, près des deux tiers des ventes de Biwi sont destinées à l’industrie horlogère. Néanmoins, cette proportion s’est nettement réduite ces dernières années – l’horlogerie représentait encore 80% de ses ventes en 2018 – pour laisser place à de nouveaux marchés comme la mode, les technologies médicales et les arts. «Le crash horloger de 2009 et la crise sanitaire mondiale dix ans plus tard nous ont aussi grandement poussés à nous diversifier.» Sous contrat avec «de grandes marques françaises», Biwi fabrique notamment des ceintures et des sacoches pour lesquels, à l’instar des bracelets de montres de luxe, le caoutchouc et les matériaux recyclés viennent notamment remplacer le cuir.

«À l’heure du réchauffement climatique et des préoccupations grandissantes concernant le bien-être animal, travailler avec des matériaux alternatifs constitue clairement un atout, dit le spécialiste Olivier Müller. Le positionnement de Biwi sur le marché est très avantageux de ce point de vue-là, surtout s’agissant des jeunes consommateurs.» Une conviction pour le directeur de Biwi Pascal Bourquard, qui a récemment obtenu une certification vegan pour ses produits: «Je trouve qu’élever des animaux pour les transformer en sac à main ou en bracelet est un concept révolu.» Au-delà de la problématique posée par l’élevage, le cuir a aussi le défaut de s’user relativement vite, observe Olivier Müller. «Dans le cas d’une utilisation quotidienne dans un climat chaud et humide, un bracelet en cuir ne tiendra que quelques mois avant de devoir être remplacé. Le caoutchouc se montre en général bien plus résistant.»