«Quatre roses anglaises» raconte l’histoire d’une fille tellement belle et intelligente que les autres enfants la mettent en quarantaine. Madonna publie son autobiographie, et c’est un livre pour enfants.
Lundi 15 septembre, Paris. Devant un parterre d’éditeurs internationaux et de journalistes triés sur le volet, Madonna présentait son premier livre pour enfants, «Les Roses anglaises».
L’ouvrage raconte l’histoire de Binah, une petite fille si belle, si intelligente et si douée pour les sports que ses copines de classe, Nicole, Amy, Charlotte et Grace, les fameuses Roses anglaises, l’imaginent prétentieuse et ne lui adressent jamais la parole.
Mais sous ses dehors de princesse, Binah vit une existence de Cosette. Depuis qu’elle a perdu sa maman, elle vit seule avec son papa qui travaille toute la journée. Et c’est elle qui doit s’occuper de la maison, préparer à manger, récurer les sols, faire la lessive et même «écailler le poisson».
Une conférence de presse au Ritz, suivie d’une garden-party dans les jardins de Gallimard, consacrait le plus grand lancement simultané mondial de l’histoire de l’édition. Dès le lendemain, «Les Roses anglaises», premier tome d’une série de cinq contes à paraître d’ici la fin 2004, était mis en vente dans cent pays et en trente langues. Au cours de la même cérémonie, Madonna annonçait que l’intégralité des bénéfices de son livre seraient reversés à des associations caritatives pour enfants: «Pour la première fois de ma vie, ma créativité n’a pas été motivée par mon ego ou par le profit.»
Comme on pouvait s’y attendre, la presse s’est fait un plaisir de se moquer de l’événement et des déclarations de la nouvelle repentie du show-business.
Mais qui est le plus ridicule? Madonna en Prada pastel jouant les Comtesse de Ségur du XXIe siècle dans les jardins de la maison Gallimard, ou les journalistes qui auraient préféré mourir plutôt que de renoncer à leur carton d’invitation pour assister à ce «non-événement», comme la plupart d’entre eux l’ont écrit après-coup?
Qui est le plus pathétique? L’héritière warholienne qui a décidé que son anonymat ne durerait jamais plus de cinq minutes ou tous ces Verdurin des médias qui rêvent de redonner un peu de lustre à leur signature en bouffant du Madonna?
Qui est le plus vaniteux? Une star planétaire qui convoque plusieurs milliers de personnes pour un livre de 46 pages (écrit gros) ou une vedette germanopratine, Philippe Sollers, qui, du haut de la terrasse de son bureau Gallimard, ne peut s’empêcher de montrer qu’il en est lui aussi, mais avec une certaine altitude?
Qui est le plus grotesque? Celle qui dit avoir compris grâce à la kabbale, courant ésotérique hébraïque, que le secret du bonheur «était de faire passer les autres avant soi» — on se demande pourquoi elle a renoncé au catholicisme qui prétend la même chose — ou ceux qui piétinent les pieds de leurs confrères pour mieux voir la Madonne débiter ses nouvelles lubies?
Qui est le plus frivole? La star transformiste de la pop qui change de look à chacune de ses apparitions ou ceux qui pensent qu’il suffit de fustiger sa futilité pour acquérir de la profondeur?
Face à Madonna, la presse est toujours perdante puisqu’elle est son obligée. Qu’elle le veuille ou non.
C’est la puissance de la mère de Lourdes et Rocco que de condamner les médias aux mauvais rôles, ceux de laquais ou de jaloux, de snob ou de ringard. Dire quelque chose sur Madonna, c’est se révéler soi-même bien plus que la dévoiler, elle.
Sa notoriété et son endurance planétaire la protègent désormais de toute critique. Son livre, en revanche, redevient un objet comme un autre quand il se retrouve en librairie, au rayon enfants, sans mention particulière, comme je l’ai trouvé chez Payot.
Alors que dire de ces «Roses anglaises»? D’abord que l’illustration est assez attrayante. Signé Jeffrey Fulvimari, essentiellement connu pour son travail avec les grands magazines de mode tels que Vogue et Harper’s Bazaar, le dessin est coloré, pop, gai, très «girlie», entre Kiraz (des filles en mini jupes aux jambes démesurées), Peynet (des décors surchargés de détails poético-naïfs) et les mangas japonais (les grands yeux des héroïnes).
Reprenant le concept des albums de Tintin, le livre s’ouvre et se ferme par une série de dessins que les enfants peuvent colorier.
Le texte maintenant. Dans son désir de rester vivante, Madonna use et abuse des interpellations au petit lecteur: «Et toi, n’as-tu jamais été vert d’envie? N’as-tu jamais été sur le point d’exploser parce que quelqu’un possède quelque chose que tu voudrais bien avoir aussi? Si tu me réponds non, c’est un énorme mensonge et je vais le dire à ta mère. Et maintenant, arrête de m’interrompre.»
Pour être sympathique, l’effet n’en reste pas moins artificiel. Comme le sont également les dialogues, sauf ceux de la fée que la star a eu la bonne idée d’imaginer grassouillette et assez peu empathique avec les enfants. Le reste relève de la littérature «bien élevée», les phrases sont construites avec des relatives, les interrogatives et les négatives respectées, le passé simple assez précieux.
Mais ce qui frappe surtout à la lecture de ce conte pour enfants, c’est la trace autobiographique. Binah, orpheline de mère, subvenant aux besoins de la famille, assistante d’un père bienveillant, et si seule malgré ses immenses qualités, c’est elle, la Ciccone!
Le message est clair: il ne faut pas se fier aux apparences. On savait déjà qu’un crapaud pouvait cacher un prince charmant, on ignorait encore qu’une fille sublime pouvait l’être réellement. Et souffrir d’une immense solitude.
Morale de cette histoire de riches pour enfants pauvres:«Réfléchissez à deux fois avant de vous plaindre que les autres ont une meilleure vie que vous.»