LATITUDES

Friand d’épicéas, le bostryche n’en finit pas de décimer les bois

Les attaques de l’insecte ont fortement augmenté en Suisse l’an dernier, notamment dans les cantons romands. La chaleur favorise la ponte et les épisodes de sécheresse rendent les arbres plus vulnérables.

Une écorce qui présente des traces de forage, des amas de sciure, des coulures de résine et des arbres à la couronne clairsemée: ce sont les signes qui ne trompent pas sur la présence du bostryche typographe, un insecte ravageur qui attaque les conifères, en particulier les épicéas. Ce membre de la sous-famille des scolytes mesure environ 5 millimètres à l’âge adulte et tire son nom des motifs caractéristiques que lui et ses larves creusent sous l’écorce. Un spectacle auquel est régulièrement confronté Michaël Pachoud, forestier de triage au sein de la corporation Jogne-Javroz dans le canton de Fribourg, qui compte une surface forestière de près de 1300 hectares. «En 2022, nous avons exploité 15 000 mètres cubes de bois, dont 3700 mètres cubes étaient «bostrychés», ce qui représente une augmentation assez nette en comparaison annuelle», dit-il. Cette situation a une incidence directe sur le commerce du bois. «Heureusement, la demande croissante pour le bois de chauffage permet de trouver une utilisation alternative pour les volumes de bois attaqués.»

Tout dépend de la météo

Ces observations de terrain sont corroborées par les dernières données publiées par l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL). Ainsi, l’été passé, les exploitations de bois forcées en raison des dégâts causés par Ips typographus ont crû d’environ 3% par rapport à l’année précédente, atteignant 403 177 mètres cubes. Les plus fortes hausses sont survenues dans les cantons de Vaud (+125%), Neuchâtel (+95%) et Zoug (+77%).

Le nombre de foyers d’infestation constatés en Suisse a pour sa part progressé d’environ 13% durant la même période. «Le développement des populations de typographus et la pression d’infestation qui en résulte sur les épicéas sont fortement liés aux conditions météorologiques, indique Simon Blaser, collaborateur scientifique au sein du WSL. Les événements météorologiques tels que les chablis (soit les arbres déracinés, par exemple en cas de tempête) et les bris de neige font qu’il y a suffisamment d’espace de ponte approprié pour la constitution d’une population. Lorsque les scolytes peuvent se multiplier en nombre, il est alors possible que des épicéas sains sur pied soient également attaqués.»

Le potentiel de défense des arbres contre le bostryche typographe est également limité lorsqu’ils souffrent de stress hydrique. Ce qui inquiète particulièrement Michaël Pachoud. «La forêt a beau être résiliente, il lui faut des périodes d’accalmie. Or nous accumulons les années sèches depuis vingt ans. D’autant plus que si les feuillus peuvent se délester volontairement de leurs feuilles pour se protéger de la sécheresse, l’épicéa va se fatiguer et souffrir de plus en plus face à ces épisodes secs.»

Contrôles visuels chronophages

La chaleur a par ailleurs une influence directe sur la vitesse de croissance du typographe. «Plus la température est élevée, plus la nouvelle génération d’insectes a la possibilité de se développer rapidement, de l’œuf au stade larvaire jusqu’à l’adulte, précise Simon Blaser. Cela a pour conséquence qu’une génération supplémentaire peut survenir les années particulièrement chaudes. Sur le plateau par exemple, il peut alors y en avoir trois au lieu de deux, comme c’est le cas en moyenne.»

Le monitorage du typographe se compose de différents éléments. L’an dernier, 1466 pièges dotés d’appâts spécifiques ont ainsi été utilisés en Suisse. «Sur la base des périodes de vol déduites des résultats, les forestiers peuvent estimer quand des contrôles visuels plus intensifs doivent être effectués dans les peuplements, précise l’expert de l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage. L’objectif est de repérer les arbres infestés avant que la nouvelle génération de scolytes s’envole et en attaque d’autres.» Ce type de surveillance sur le terrain prend cependant beaucoup de temps et s’avère donc relativement coûteux. «Des projets sont en cours pour utiliser de nouvelles méthodes de télédétection basées sur des images aériennes ou satellites, mais leur mise au point demeure compliquée», précise Simon Blaser.

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LUTTE DE TOUS LES INSTANTS

Le canton de Vaud a signalé 137% de foyers d’infestation supplémentaires en 2022. Ceux-ci ont été constatés dans toutes les régions, «mais le Jura et les Alpes sont particulièrement touchés», précise la Direction générale de l’environnement du canton de Vaud (DGE). Les autorités vaudoises ont organisé depuis 2018 une veille phytosanitaire pour appuyer les gardes forestiers dans la détection précoce des foyers de bostryches afin de les éliminer le plus tôt possible. «Des aides financières sont également mises à la disposition des propriétaires forestiers par le Canton et la Confédération pour empêcher la propagation des foyers dès lors que les fonctions de la forêt sont en danger», indique la DGE. Il faut dire que l’épicéa constitue à l’heure actuelle l’assortiment le plus demandé par les scieries et représente une ressource renouvelable importante pour l’économie locale.

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QUESTIONS À…

Simon Blaser, collaborateur scientifique à l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL)

À quoi sont dues les différences cantonales constatées?

Elles s’expliquent notamment par l’évolution météorologique hétérogène dans les différentes régions. La Suisse romande et le sud des Alpes ont été particulièrement touchés par la sécheresse l’année dernière. De même, de forts épisodes de grêle au mois de juin 2022 n’ont eu lieu que dans certaines zones. Le moment et la rapidité d’intervention peuvent aussi voir une grande influence sur le développement des foyers de typographes.

Quel est l’impact des changements climatiques sur ces infestations?

On s’attend à des problèmes croissants pour les épicéas, en particulier à basse altitude, par exemple sur le Plateau. À long terme, cela conduira à une transformation de la forêt vers une proportion plus grande de feuillus dans ces endroits.

Quelles sont les perspectives pour 2023?

La pression sur les épicéas pourrait augmenter en raison du nombre accru de foyers d’infestation survenus l’an dernier. Dans la région de Bâle et du Tessin, les premiers typographes hivernants essaiment déjà lorsque les températures journalières sont appropriées, comme le montrent les analyses de notre modèle de simulation (ndlr: qui peut être consulté sur www.borkenkaefer.ch).

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Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans Terre&Nature.