CULTURE

«Dirty Pretty Things», un rein pour un passeport

Avec ce thriller sur fond de trafic d’organes, Stephen Frears réalise une greffe étrange, parfois réussie, entre la romance, le suspens, le conte pour enfants et la chronique sociale à l’anglaise.

Dix-huit ans après «My Beautiful Laundrette» qui le révéla, Stephen Frears revient à la chronique sociale avec «Dirty Pretty Things», film produit par la BBC qui explore le monde de l’immigration clandestine à Londres.

Comme toujours quand il observe les plus démunis, son regard est alerte, empathique, généreux et souvent drôle. Mais contrairement à ses collègues Ken Loach ou Mike Leigh, il ne se contente pas d’un regard strictement documentaire. L’homme qui n’a cessé de faire des allers et retours entre son pays d’origine et Hollywood entend rattacher cette problématique des sans-papiers à une réalité sordide, encore peu connue: le trafic d’organes et le juteux marché qui lui est associé.

C’est ainsi qu’en sa seconde partie, «Dirty Pretty Things» bifurque vers le thriller. Si elle ne manque pas de suspense, l’intrigue, plus proche de la logique du «Club des Cinq» que d’une véritable enquête de police, révèle toutes ses limites lors du dénouement final, lequel a moins valeur morale que thérapeutique: réparer les dommages subis par les plus faibles en infligeant le même sort à leurs bourreaux.

Tout commence par un cœur humain retrouvé au fond des toilettes d’une chambre d’hôtel de luxe. C’est Okwe (Chiwetel Ejiofor, remarquable), un Nigérian en situation illégale, conducteur de taxi le jour, réceptionniste la nuit, qui fait cette macabre découverte.

Un peu plus tard, le même réalisera que le palace qui l’emploie sert de couverture à un trafic d’organes orchestré par le responsable d’étage, Monsieur Juan (Sergi Lopez, un rien caricatural dans son registre désormais éprouvé de l’homme sardonique). Le deal est simple: en échange d’un de leurs reins, des clandestins peuvent obtenir un passeport, un visa ou un permis d’établissement. L’opération s’effectue dans une des suites de l’hôtel par des médecins peu expérimentés.

Persécuté par les services d’immigration, Okwe n’ose pas dénoncer ce qu’il vient de découvrir. C’est donc par des voies parallèles qu’il va tenter de démanteler ce trafic, aidé par une femme de ménage turque et vierge (Audrey Tautou, pas mauvaise), une prostituée noire et un gardien de morgue chinois.

Dénonciation des abus de pouvoirs, «Dirty Pretty Things» montre sans ambiguïté les chantages, pressions, viols et crimes dont sont victimes les sans-papiers. Le titre du film fait d’ailleurs référence au sale boulot des travailleurs au noir, chargés de transformer les saletés laissées par leurs clients en jolies choses. Pour mieux appuyer sa démonstration, Stephen Frears idéalise les clandestins tandis qu’il charge les nantis.

On aurait peut-être souhaité que cette enquête sordide soit menée par un homme plus contrasté que le vertueux Okwe, héros positif, sans peurs ni reproches, dont même le passé douteux est lavé à la fin du film. Sa position de «saint» empêche qu’apparaissent, par exemple, les différentes contradictions, postures et conflits pouvant exister au sein des clandestins eux-mêmes.

Bref, devant les multiples pistes ébauchées dans «Dirty Pretty Things», on reste un peu perplexe. Le film a indéniablement du charme, de la fantaisie, de l’audace, mais il est verrouillé par un scénario trop démonstratif que Stephen Frears ne parvient jamais à transcender. Et cela en dépit de son formidable sens du rythme et de l’espace — belle alternance des couleurs chaudes et froides pour séparer le monde douillet de la bourgeoisie à celui, mortifère, des rejetés de la terre.

Pour reprendre l’image forte du film — un organe humain retrouvé dans des toilettes –, on dira que «Dirty Pretty Things» a du cœur, certes, de l’estomac aussi, mais qu’il lui manque la finesse de jugement et le regard panoramique qui lui auraient permis d’être le grand film de dénonciation esquissé.

En s’amusant à greffer plusieurs genres cinématographiques sur son propos virulent (thriller, romance amoureuse, chronique sociale et conte pour enfants), Frears affaiblit sa démonstration au lieu de le fortifier. Un chirurgien-cinéaste n’aurait jamais laissé autant de gros fils blancs derrière lui!

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«Dirty Pretty Things» de Stephen Frears, avec Audrey Tautou, Chiwetel Ejiofor, Sergi Lopez, Sophie Okonedo, Benedict Wong.