CULTURE

La réhabilitation des hackers

On les associe souvent à des pirates. A tort. Ils ont construit le premier PC, ils ont inventé l’internet et ils développent aujourd’hui un nouveau rapport au travail.

Pas besoin d’un modem pour rejoindre la communauté des hackers. Et pas même besoin d’un ordinateur puisque le hacking n’est en fait qu’un état d’esprit, un rapport au monde, une sorte de philosophie de vie dont les principes ont été résumés dans un excellent livre publié l’an dernier.

Le livre en question, signé du philosophe finlandais Pekka Himanen, 29 ans, rappelle tout d’abord que «l’éthique hacker» n’a pas grand chose à voir avec la criminalité informatique. Les hackers originaux, dans les années 60 et 70, étaient des programmeurs universitaires enthousiastes qui travaillaient par passion et qui échangeaient leurs trouvailles pour le bien de la communauté. Ils ont démontré qu’en partageant les connaissances, on pouvait réaliser des grands projets en marge de l’économie traditionnelle.

Les hackers savent bien que ce ne sont pas des multinationales, mais des membres de leur communauté qui ont posé les bases d’internet (Vinton Cerf en 1969), de l’e-mail (Ray Tomlinson en 1972), de l’ordinateur personnel (Steve Wozniak en 1975) et du Web (Tim Berners Lee à Genève en 1989).

Mais l’histoire des hackers a aussi été marquée par ce que certains d’entre eux appelleraient «le côté obscur de la force». Le glissement a commencé à l’époque de «War Games», quand les premiers cyberpirates se sont infiltrés dans des sites protégés. Le mot «hacker» a alors pris une seconde signification, celle de criminel informatique, dont il a aujourd’hui de la peine à se défaire.

Comment expliquer cette coexistence de deux définitions, positive et négative, pour un même mouvement?

«Le hacker estime que les humains doivent être égaux devant l’information, répond le chercheur Joël de Rosnay, directeur de la Cité des sciences à Paris. Il remplace les rapports de force classiques, économiques ou militaires, par le flux des données. Et pour accéder à ces données, il doit se rendre dans les sanctuaires d’information. Cela créé parfois des dérives, car le hacker va s’approprier ce qu’il n’a théoriquement pas le droit d’obtenir. Il n’aime pas les systèmes pyramidaux et s’attaque pour cela généralement à la tête.»

Aujourd’hui, si le public et la presse associent encore le hacking au vandalisme informatique et à la violation de la sphère privée, le mot commence à retrouver un peu de son sens original avec la vague du logiciel libre, dont Linux représente l’exemple le plus populaire.

Ce célèbre système d’exploitation — développé en 1991 par Linus Torvalds, un hacker de 22 ans — est totalement ouvert: n’importe qui peut l’utiliser gratuitement, l’améliorer à sa guise et faire profiter les autres usagers de ses aménagements. Résultat: Linux s’est imposé comme un concurrent sérieux du Windows de Microsoft.

Du coup, on peut se poser la question: le mouvement hacker offrirait-il une alternative au modèle capitaliste? «Ce n’est pas une alternative, mais une reconfiguration d’un modèle existant», répond Joël de Rosnay, qui cite en vrac les systèmes «peer-to-peer», le «Wifi» et le «grid computing» comme autant d’exemples contemporains de la culture hacker.

Si ces systèmes n’ont pas encore trouvé leur modèle économique, ils pourraient inaugurer un nouveau rapport au travail et à l’innovation. C’est du moins l’opinion de Pekka Himanen, selon lequel la culture des hackers serait en passe de remplacer l’éthique protestante du travail telle qu’elle avait été définie au début du siècle passé par Max Weber.

Sur grand écran

A quoi ressemble un hacker? Cette question, les studios hollywoodiens se la posent depuis une bonne vingtaine d’années. Et de film en film, ils y apportent des réponses contrastées. Quand le hacker est un héros, ses interprètes se nomment Sandra Bullock («The Net»), Keanu Reeves («The Matrix»), Robert Redford («Les Experts»), Matthew Broderick («War Games»), Jeff Bridges («Tron») ou encore Hugh Jackman («Swordfish»).

Quand il est le méchant, c’est sous des allures négligées que le hacker apparaît, à l’image du grassouillet Wayne Knight de «Jurassic Park». Une logique poussée à l’extrême dans «GoldenEye», où le spectateur est confronté à deux modèles antinomiques du hacker. L’un, incarné par Izabella Scorupco, femme sublime aux allures de justicière, et l’autre par Alan Cumming, post-adolescent exhibant un sourire jauni par la caféine.

«Généralement, ces films hollywoodiens restent très manichéens dans la manière de traiter le personnage du hacker, explique Patrick Gyger, spécialiste du cinéma d’anticipation et directeur de la Maison d’Ailleurs à Yverdon. Les fictions ont fait du hacker une figure littéraire romantique. Le summum étant atteint avec «The Matrix» dans lequel Keanu Reeves transforme le monde, ni plus, ni moins».

A cet aspect romantique s’ajoute une dimension politique que l’on retrouve régulièrement à l’écran. «Présenté comme individualiste, le hacker travaille cependant au bien commun en s’érigeant contre les puissants conglomérats industriels», résume Patrick Gyger. Une caricature de justicier que l’on retrouve dans le film «Hackers» (1995) –avec, en autres, Angelina Jolie — qui fut très critiqué à sa sortie par les principaux concernés.

Tout aussi caricatural, le film «AntiTrust» raconte comment un hacker (Ryan Phillippe) affronte un géant du logiciel: une critique à peine voilée de la suprématie de Microsoft.

——–
Collaboration Christophe Dupont

Une version de cet article a été publiée dans le magazine Type.