Film chorale mettant en cause notre rapport à l’argent, «Le Coût de la vie» offre un jeu de «cache-cash» amusant, plutôt intelligent. Avec l’excellente Géraldine Pailhas.
Avec «Le Coût de la vie», le cinéaste Philippe le Guay («La Vie de Juliette») prend un risque. On ne construit pas une intrigue sur nos rapports difficiles à l’argent sans se soumettre à son tour à la question: cette comédie estivale qui a pour cadre Lyon, ville des soieries luxueuses, de la gastronomie au beurre et de la bourgeoisie satisfaite, vaut-elle le prix de son ticket d’entrée, 16 francs? En d’autres termes: en a-t-on pour son argent?
Oui, si on va voir «Le Coût de la vie» le lundi, jour des tarifs réduits, mais pas forcément le reste de la semaine. Trop caricatural pour séduire, le film illustre des situations et des symptômes bien plus qu’il ne les incarne — on a parfois l’impression que le scénario a été écrit avec le recours systématique du petit manuel du freudisme de base.
Dommage car, face à un cinéma français encore très «catho-mitterrandien» dans sa soumission au tabou que représente l’argent, le film a au moins le mérite de ne parler que de ça. Du flouze, du pèse, des pépettes, du blé, des débiteurs, des créanciers, des cartes de crédits, des chèques et des taux d’intérêt.
Dans une scène, un personnage achète à un brocanteur un lot d’assiettes ayant pour motif des fables de Jean de la Fontaine, dont celle de «La Cigale et la Fourmi». Voilà qui est clair: «Le Coût de la vie» est un conte, une parabole sur l’argent et les affres qu’il occasionne.
Avarice compulsive ou impossibilité de donner, Brett (Fabrice Luchini qui ressemble de plus en plus au cinéaste anglais Peter Greenaway) est malade à l’idée d’ouvrir son porte-monnaie — d’où sa constipation récurrente. Il préfère quitter sa maîtresse plutôt que de lui faire un cadeau à 790 euros, se perdre en procédures judiciaires plutôt que de se racheter une bouilloire.
A l’inverse, Comway (Vincent Lindon) ne sait que dépenser. Son restaurant connaît une baisse de fréquentation? Il en achète un second! Son beau-père le méprise? Il lui fait don d’une caisse de Bordeaux!
Sa femme se méfie de sa prodigalité? Il l’apaise en lui offrant une bague à 12’500 euros! Sa générosité ne l’empêche pourtant pas d’entretenir un rapport puritain au fric. Comme le dit son épouse (car ici tout le monde commente les gestes de tout le monde), Comway jette l’argent par les fenêtres pour avoir bonne conscience, se sentir propre.
Bref, ni Brett ni Comway n’ont l’argent content.
Autour du motif de la cigale et de la fourmi, de ce couple extrême dans l’expression de ses névroses, tournent plusieurs satellites. Il y a Helena, call girl sans état d’âme qui fait payer leurs petites mesquineries à ses clients. Laurence, une riche héritière (Isild Le Besco) qui joue les SDF pour «être aimée pour elle-même».
Il y a aussi un huissier compassionnel, une ouvrière qui rigole quand on lui refuse sa carte bleue au supermarché, un PDG qui vend son patrimoine pour retrouver son âme (le bien nommé Claude Rich), une femme enceinte qui marchande tout ce qu’elle achète, un modeste plongeur panier percé et un gamin qui joue au Monopoly comme un futur Paul-Loup Sullitzer.
Dans «Le Coût de la vie», l’argent est montré comme un révélateur de comportements, un jeu de «cache-cash» qui camoufle le besoin d’être aimé, de se venger ou de réparer des blessures anciennes, une illusion qui console de la peur de manquer ou de perdre le contrôle de sa vie.
Film chorale où se tissent une dizaine de destins, «Le Coût de la vie» choisit la légèreté pour dépeindre une humanité mercantile, obsédée par l’argent mais aussi rongée par la culpabilité, le remord et la honte qu’il peut engendrer.
A priori, il n’y a pas de quoi rire et on ne rit pas tant que cela dans cette comédie monomaniaque — tout est perçu sous l’angle du fric — qui bascule en cours de route dans une forme de mélancolie fétichiste, dont les hommes sont les premières victimes. Philippe Le Guay n’est pas tendre avec ses personnages masculins tandis qu’il accorde aux femmes, de la gréviste à l’anesthésiste bimbo, des comportements beaucoup plus sains, réalistes et ludiques face au leurre de l’argent.
Le film prend d’ailleurs toute sa valeur avec le personnage incarné par Géraldine Pailhas (la meilleure d’un casting luxueux), une prostituée de haut vol qui a le sens de l’échange et du deal, une sorte de psy des hôtels Ibis, la seule à oser mettre les gens devant leurs contradictions, lâchetés, impuissance et mièvre sentimentalité.
Très différente de la pute au grand cœur qui a nourri l’imaginaire du cinéma français, elle s’affirme comme une sorte de philosophe de l’argent, de dialecticienne ironique des rapports de force. C’est elle le maillon fort de cette comédie amusante, parfois miroir de nos étranges comportements, mais trop artificielle dans sa construction et ténu dans son scénario pour être véritablement payante.