LATITUDES

Des piétons dans la ville

De nombreuses villes innovent pour éloigner les voitures de leur centre. A Londres, les résultats de la taxe de circulation sont encourageants. Le développement de zones piétonnes devient politiquement porteur.

Soudain, dans les cités américaines en panne d’électricité, ce fut une vision surprenante: des milliers de citoyens qui se déplacent à pied.

Sans y être forcés, les habitants des grandes villes, notamment en Europe, sont de plus en plus nombreux à laisser leur voiture au garage. Parfois, ce sont des mesures politiques qui les encouragent.

Le 17 février dernier, Ken Livingstone, le maire de Londres optait pour une solution très controversée à la congestion de la circulation automobile du centre de la capitale: le prélèvement d’une taxe de cinq livres par automobile («Congestion Charge»).

Les médias se faisaient alors l’écho de ses détracteurs. «Impraticabilité», «fiasco administratif», «chaos inévitable», «glas de la carrière politique de son initiateur», des commentaires catastrophistes ont accompagné le lancement de cette initiative audacieuse. Jusqu’ici, seules les villes de Singapour et Oslo, mais à une plus petite échelle, ont osé prendre des mesures aussi radicales.

Six mois plus tard, vraisemblablement muselés par leurs annonceurs à quatre roues, les médias taisent un bilan qui va au-delà des attentes les plus optimistes. Au point que les villes de Bristol et d’Edinburgh envisagent de l’introduire prochainement.

L’introduction de cette taxe a déjà permis de réduire de 20% le trafic dans le périmètre concerné sans accroissement de la circulation en périphérie. L’objectif visait lui une diminution de 10 à 15 % et l’encaissement de 210 millions d’euros par an à investir dans l’amélioration des transports publics.

Ce ne sont pas moins de 60’000 véhicules par jour qui restent au garage, leurs propriétaires fréquentant désormais métro et bus. Des bus, c’est à relever, dont la vitesse aux heures de pointe a très sensiblement augmenté. Sans oublier un quart des automobilistes d’hier qui ont retrouvé l’usage de leurs jambes et se sont mués en piétons.

Ken Le Rouge (allusion au passé de travailliste rebelle du «mayor») s’apprête à transformer ces piétons en rois. Un projet ambitieux, qu’il vient de dévoiler, déroule sous leurs pieds des kilomètres de boulevards. Ainsi, Marylebone Road et Euston Road devraient prendre des airs de Champs Elysées avant l’arrivée de la voiture, affirme Sir Terry Farrell le maître d’œuvre mandaté par Livingstone.

Une centaine d’espaces publics vont se transformer en «pedestrians-friendly thoroughfares». L’énergie du mollet ne pollue pas et résout le problème de la sédentarité qui grève le budget de la santé. Le concept de «ville piétonne» est en marche. Dans une ville moyenâgeuse, chaque point de celle-ci était atteignable en une heure à pied, rappelle le jeune bureau d’architecture MVRDV (Winy Maas, Jacob van Rijs, Nathalie de Vries) de Rotterdam, qui s’en inspire.

En première position, au palmarès des villes selon leur qualité de vie, Vancouver sert de modèle aux urbanistes. Savez-vous qu’on y donne les distances ni en miles ni en kilomètres, mais en minutes? La distance d’un point à un autre est en effet indiquée par le temps nécessaire pour la parcourir à pied. L’exclusivité de la métrique automobile a vécu!

«Ce n’est qu’en leur faisant vivre l’enfer que nous obtiendrons des automobilistes qu’ils renoncent à leur bagnole», estime Yves Contassot, adjoint Vert au maire de Paris. Qu’importe les cris d’orfraie d’automobilistes privés des voies des berges, cet été, le journal «Elle» peut photographier ses mannequins alanguis sur le sable fin de… «Paris-Plage».

Fort du succès enregistré par la fermeture estivale des quais de la Seine aux voitures, Bertrand Delanoë parle maintenant de les fermer définitivement. D’ici dix ans, il entend transformer ce site en promenade, avec restaurants, guinguettes et jeux pour les enfants.

«Delanoë envoie Pompidou au garage», titre le «Canard enchaîné» du 6 août, qui estime que cette mesure devrait constituer l’un des enjeux des élections municipales de 2007.

Christian Ferrazino, un autre maire, ose égratigner la liberté de se déplacer sans entraves en voiture. A Genève, l’opération «Les yeux de la ville» rend, elle aussi les rues aux piétons .

En tentant de prendre à bras le corps le problème des nuisances du trafic urbain, il y a peu encore, des Livingstone, Delanoë ou Ferrazino auraient passé pour «suicidaires», politiquement parlant. Un tel verdict n’est plus de mise.

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Site de la mobilité piétonne en Suisse